J'étais encore connue sous le nom d'Hepzibah Shafiq lorsque j'ai passé mes BUSEs en 1883. Cela me paraît si lointain à présent. J'étais jeune. Insouciante des misères de la vie, qui semblait ne jamais s'arrêter de me sourire. J'aurais dû être anxieuse à la venue des examens. Pourtant, je me rappelle qu'à cette époque, j'étais bien plus intéressée par la polémique qui enflait autour de l' arrêt de l'utilisation des paniers pour marquer les buts au Quidditch que par la potion sur laquelle je serais vraisemblablement interrogée le lendemain. De toute manière, ma mère ne cessait de me le seriner à l'époque : les notes ne servaient à rien. J'allais au collège, certes. Car l'éducation magique était une chose dont on ne pouvait se passer. Mais en définitive, obtenir mon diplôme me servirait moins qu'une conversion polie et un sourire aimable. Les BUSEs ne seraient que la pierre finale posée sur l'édifice façonné par mes parents. Que j'ai découvert mes pouvoirs en faisant léviter le plat du dîner ou en marchant à la surface d'une flaque d'eau, à trois ans ou à six, cela importait peu. Ce qui comptait, c'était que je ne sois pas une Cracmolle. A partir de là, tout était envisageable. Et mon ascendance, mon sang et la richesse que détenait mes parents m'ouvraient toutes les portes. Et accessoirement ouvrait également les miennes à quelques prétendants.

Ce n'était qu'officieux. Nos parents s'étaient déjà rencontrés plusieurs fois, mais le sujet n'avait qu'été survolé. Ce n'était pas dans les règles de la bienséance. Il fallait laisser du temps au temps, comme disait mon père. Il était à Poudlard également. De deux ans plus vieux que moi. Je me rappelle de l'avoir observé furtivement pendant les repas dans la Grande Salle, cachée derrière mes boucles rousses. De l'avoir croisé dans les couloirs et d'avoir disparu entourée par les gloussements de mes amies une fois l'avoir dépassé. Non, rien n'était officiel, mais tout le monde savait. Je ne le connaissais pas alors. Ou si peu. Quelques mots échangés lors de réunions familiale. Et pourtant, mon cœur d'adolescente s'éprit vaillamment de lui, ces rares bases laissant le champ libre à mon imagination, le teintant de mystère et de gloire. Clarence Smith. Poursuiveur dans l'équipe de Poufsouffle depuis sa cinquième année. Grand, brun, pas bien épais. C'est avec lui que je me suis finalement mariée deux ans plus tard. Deux longues années d'ennui durant lesquelles, fiancée que j'étais, on m'avait retirée de Poudlard après des examens juste acceptables pour me préparer en douceur à la vie qui m'attendait. Deux années qui allaient laisser à Clarence le temps de trouver du travail au sein du ministère et de se faire une place. Je me mariais finalement au printemps 1885, âgée de 18 ans et lui de 20. J'apportais en guise de dot un appartement coquet en plein Londres, auquel s'ajoutait l'argenterie et trousseau de mariage. De multiples cadeaux de mariages nous parvinrent, certains parfois en double voire en triple, mais celui qui m'intrigua le plus fut l'elfe de maison que nous offrirent mes beaux parents. Hokey s'acclimata bien à sa nouvelle vie, et il m'était plus facile de supporter la solitude de l'appartement avec elle à mes côtés.

Sans avoir à me soucier de quoi que ce soit, je m'adonnais à mes passions. Collectionner. Rassembler peu à peu divers éléments porteurs d'histoire. J'avais 30 ans et deux jeunes enfants lorsque le cinéma fit son apparition, déroulant ses scènes en noir et blanc devant mes pupilles ébahies. L'œuvre de Moldus, certes, mais cela n'en restait pas moins quelque chose de légèrement "magique". Cela n'avait pas empêché Milton, 2 ans et demi, et son frère cadet Theodore de s'endormir pendant la séance. Je n'ai jamais eu plus peur pour eux que lors de l'annonce de ce qui deviendrait la première Guerre Mondiale. Ils étaient si jeunes, à peine adultes. Ils n'étaient pas sur le front, mais je ne pouvais m'empêcher d'y songer, en voyant Londres dépouillée de ses hommes ou en lisant les nouvelles.

Et puis, la fin de la guerre finit par ramener son quotidien, à la différence près qu'on l'appréciait davantage pendant les quelques années qui s'écoulèrent. Je me souviens avoir combattu sans peur pour obtenir un exemplaire de la première édition du livre Les Animaux Fantastiques, dédicacé par son auteur ou avoir remporté aux enchères l'ancienne baguette magique de la championne de duel sorcier Alberta Toothill.

J'avais 52 ans lorsque mon beau-père passa l'arme à gauche. 54 quand ma belle-mère la rejoignit dans la tombe. L'héritage qu'ils nous laissaient, tant au niveau des biens immobiliers que du contenu de leur coffre à Gringotts décida mon mari à investir dans plusieurs appartements et maisons bien situées. Quelques années plus tard, il quittait son travail au Ministère, les rentes nous permettant de gagner notre vie plus que correctement. Je fit l'acquisition de deux armoires à disparaître en 1929, que Milton refusa de prendre chez lui sous prétexte que sa femme ne voulait pas prendre le risque de voir ses beaux-parents débarquer chez eux à n'importe quelle heure de la journée. La jumelle de mon armoire finit donc par atterrir chez mes propres parents, jusqu'à ce que leur décès ne la fasse revenir élire domicile dans mon grenier.

C'est dépitée que je vis la guerre faire son retour en 1939. J'avais beau avoir presque 72 ans, rien ne semblait vraiment avoir changé. J'avais quelques rides en plus, quelques petits enfants également en plus, mais le monde restait le même. C'est cette guerre qui m'a prit Clarence. Bêtement. Un bombardement à Londres, alors qu'il était en déplacement pour un appartement que nous louiions. Cette guerre s'est terminée. Et si les jeunes s'en réjouissent, quelque part au fond de mes os d'octogénaire, je me dis qu'il est malheureusement impossible qu'on en ait fini avec ces guerres… Et même avec ce constat, je continue à vivre. A amasser. Armure de gobelin. Lancechêne 79 de Jacunda Sykes. Médaillon de Salazard Serpentard. Un objet, une histoire.