Et voilà, les choses sérieuses commencent. Aujourd'hui, c'est mon premier jour de stage au ministère. Eh oui, je ne déroge pas à la règle, bien sûr, et ça n'étonnera personne, j'imagine, j'ai trouvé ma place au ministère grâce à mon père, et je me dois à présent de faire ce qu'il faut pour me faire une place et gravir les échelons. Je dois reconnaître qu'il y a quelque chose de confortable dans le fait de ne pas avoir vraiment besoin de réfléchir à sa carrière.

Je n'ai pas eu besoin de batailler pour être intégré dans la "grande famille du ministère". Maintenant, il va surtout me falloir batailler pour faire fructifier ce premier investissement que l'on a fait sur moi. Je suis loin de prendre les choses à la légère. J'ai la ferme intention de me montrer à la hauteur de ce que l'on attend de moi. J'ai une réputation à tenir, et j'ai bien l'intention de tout faire pour me montrer digne des espoirs que l'on place en moi.

Il le faut bien, d'ailleurs, parce qu'après le coup de mes fiançailles brisées avec Lexie, j'ai quand même besoin de redorer un peu mon blason... même si je sais pertinemment que c'est un mal pour un bien, en vérité. Même un très grand bien, car je n'ai jamais été aussi heureux que depuis que je suis avec Walby. Et au final, je ne pense pas qu'on pourra me reprocher de déroger aux attentes quand on sait que personne mieux qu'une Black ne saurait satisfaire un Black (passons sur l'historique fondamentalement incestueux de notre très cher famille, où on finit par être tous plus ou moins cousins de toute façon).

En somme, ma vie est sur les rails, et c'est à moi à présent de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que les choses demeurent ainsi. Je ne pense pas que ce sera difficile, en réalité. J'ai confiance en moi, et ce n'est pas plus mal.

Je viens de finir ma première matinée au ministère et je quitte le bureau qui m'a été attribué. Alors que j'ai fait quelques pas dans les couloirs, je croise un visage familier. J'affiche un sourire, mais en vérité, je ne sais pas si je suis vraiment ravi de voir Abraxas. En soi, il a tout pour que je l'apprécie et même que je m'en fasse un ami. Sauf qu'il est proche de Walburga, et ça, je n'aime pas.

-Bonjour Abraxas.

Je ne m'attendais pas du tout à une telle réponse de la part de mon interlocuteur, et malgré moi, je sens s'effondrer tout ce que je gardais d'assurance en entendant le surnom qu'Abraxas me donne. Don Juan, moi ? Je suis tout sauf un Don Juan. Je n'avais jamais eu de petite amie avant Walburga (on ne peut pas dire que Lexie compte vraiment, même si nous avons prétendu être ensemble afin de préserver les apparences), et je ne suis vraiment pas un coureur de jupon. Même si je voulais en être un, d'ailleurs, j'échouerais lamentablement, je le sais. Je ne suis pas quelqu'un de particulièrement charismatique, je ne suis pas quelqu'un de particulièrement séduisant.

Je ne sais déjà pas comment une fille comme Walby (qui elle est clairement charismatique et séduisante, à l'inverse) a pu me trouver à son goût. Je pense que le fait qu'on se connaisse depuis toujours a joué en ma faveur, dans le cas contraire, je suis sûr qu'elle n'aurait même pas posé les yeux sur moi, elle s'en serais moquée comme de sa première paire de chaussettes, je serais vraiment prêt à le parier, et je ne pense pas me tromper en le disant, même si Walby s'insurgerait si je devais lui poser la question directement (ce qui n'arrivera pas).

Je ne peux qu'en déduire une chose : il est au courant. Pourtant, je n'en ai parlé à personne. Avec Walby, on a parlé du fait d'officialiser notre relation rapidement, pas spécialement parce qu'on en a envie, mais parce qu'on veut éviter qu'on nous trouve à notre insu d'autres fiancés avant qu'on ait eu le temps de se décider. Mais rien n'est fait encore. Peut-être que c'est cette fouine d'Alphard qui lui en a parlé ? Mais je ne vois pas quand il en aurait eu l'occasion... En fait, la solution la plus simple doit être la bonne : c'est Walby qui a parlé de nous à Abraxas. Je sais qu'ils sont amis, et je ne sais pas si j'apprécie de découvrir qu'ils se font des cofidences.

-Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, je tente quand même de me défendre.

Pourtant, je sais d'office que ce ne sera jamais qu'un simple coup d'épée dans l'eau.

Donc c'est effectivement ça, Walby lui a tout raconté. En toute honnêteté, je ne sais pas comment je dois le prendre. Je n'aime pas vraiment le fait que ce type que je connais à peine soit au fait de ce qui est pour le moment un secret total. D'accord, ça ne le sera pas longtemps, et si Walby lui a parlé, c'est qu'elle l'estime capable de tenir sa langue. Mais qu'elle ait fait ce genre de confidence à ce gars qui à mes yeux n'est qu'une connaissance, alors qu'après tout, c'est un secret que nous partageons à deux, ça ne me plaît pas du tout...

Je n'ai pas honte de ma relation avec Walburga. Et en toute honnêteté, je me fiche que nous soyons des cousins éloignés. Dans notre famille, on aura déjà fait bien pire, clairement. Seulement, pour officialiser les choses, la première étape, c'est de parler à nos parents respectifs, commencer à faire circuler l'information auprès des familles de sang pur, c'est prendre le risque qu'elle n'atterrisse dans les mauvaises oreilles, sans qu'on ait eu le temps ou l'occasion d'y mettre les formes convenablement. Oui, je dois me fier au jugement de Walburga, je n'ai pas envie de lui en vouloir pour ça. Mais je n'aime pas, malgré tout, devoir m'épancher sur quelque chose d'à ce point personnel auprès de quelqu'un avec jamais je ne me serais imaginé avoir ce genre de discussion.

-Je ne savais pas que vous étiez aussi proches..., je rétorque tout en m'en voulant d'office d'entrer directement dans ce jeu-là.

J'ai confiance en Walburga, en réalité, et je n'ai pas du tout envie de lui taper des crises de jalousie, pour rien, mais ça me perturbe quand même de la savoir suffisamment à l'aise avec un autre garçon pour lui faire ce genre de confidences... C'est stupide et irrationnel, évidemment.

-T'en as parlé à personne, pas vrai ?

En soi, il n'y a pas de raisons du tout, et même si c'était le cas, il y aurait de bonnes chances pour qu'il ne me réponde pas sincèrement, mais c'est comme ça. Je veux tenter de dissiper mes craintes. Je veux quand même avoir la situation en mains, c'est important pour moi.

Je serre les dents en entendant la réponse de mon interlocuteur. De toute évidence, il joue de la jalousie que je n'arrive pas à m'empêcher d'éprouver, et forcément, ça m'agace, surtout, je m'agace moi-même. Mais je n'y peux rien, le simple fait qu'elle soit si proche d'un autre garçon éveille en moi un sentiment d'insécurité totale, que je n'arrive pas à taire du tout. Donc l'entendre me confirmer qu'ils ne sont pas seulement proches, mais très proches, oui, ça m'agace, malgré moi presque, mais ça m'agace.

Et voilà qu'il en rajoute en me disant qu'il attend mes remerciements. Dans un premier temps,je ne comprends pas où il veut en venir, puis il s'explique. C'est lui qui a poussé Walby à me parler, à m'avouer ses sentiments. Mouais... je pourrais le remercier, mais d'une, j'aime pas qu'ils aient discuté de tout ça dans mon dos, de deux, je suis sûre qu'on s'en serait très bien sortis sans son intervention, de trois... quand elle est venue m'avouer ses sentiments la première fois, j'ai menti, je l'ai envoyée balader, j'ai prétendu que je ne ressentais rien pour elle. Je ne pense pas qu'elle se soit senti très reconnaissante à l'époque d'avoir avoué ce qu'elle ressentait. Mais j'admets aussi que sans cette entreprise, je n'aurais pas envisagé de venir la trouver après l'annulation de mes fiançailles avec Lexie.

Quand il me demande de me détendre, j'ai encore moins envie de le faire. "Détends-toi un peu"... je déteste ce genre de phrases, ça me tend encore plus, et je me dis à chaque fois que c'est le but de la manoeuvre. Walby a peut-être confiance en lui, mais ce n'est pas mon cas. Moi, je préfère me méfier, et je pense honnêtement que c'est légitime.

-Si t'étais aussi proche d'elle, tu saurais que tu n'as pas franchement à t'attribuer les mérites de notre histoire.

D'accord, je suis de mauvaise foi, mais ça m'est bien égal de l'être, et je continuerai à l'être s'il le faut, question d'orgueil et de fierté, je ne sais pas quoi faire d'autre. J'ai bien envie de rajouter que je me fiche qu'il me demande de me détendre, que je prends les choses au sérieux, moi. Mais je me retiens.

Non, mais dans le fond, je sais bien qu'il me provoque, je sais pertinemment qu'il cherche seulement à me piquer et qu'il n'y a rien de particulier entre lui et Walburga. Au mieux sont-ils amis, et déjà ça ne me plaît pas (comment peut-être être amie avec un type qui fait preuve d'un tel comportement), mais sa manière d'insister, d'en rajouter une couche... Eh bien ça m'énerve. Au-delà de la jalousie, c'est lui, en tant que personne, qui va me sortir par les trous de nez à force de me chercher comme ça.

Et le problème, c'est que moi, quand on me provoque, je n'ai du répondant que dix ans plus tard, comme un pauvre idiot, et tout ce que j'aurais pu trouver de cinglant ou de désagréable à rétorquer, ça me vient avec dix trains de retard, quand ça ne sert de toute façon à rien. Moi le premier, je m'énerve avec ce genre de réactions, je vous jure. Mais c'est comme ça. Et donc c'est d'autant plus agaçant, parce que je ne sais pas quoi lui répondre si ce n'est que je me sens déjà tendu et que je n'ai pas envie qu'il me donne plus mal au ventre que je ne l'ai déjà à l'idée de perdre Walburga. Me faire passer pour un faible, pas question. Pourtant, bah... C'est ce que je suis.

-Bon, écoute, je suis sûr que tu trouves ce petit jeu super marrant, mais bizarrement, c'est pas mon cas. Alors tant pis, continue de vouloir jouer avec mes nerfs si ça t'amuse, mais j'ai pas à supporter ce genre de choses. Je suis pas con au point de croire qu'il y a quelque chose entre vous, si c'est ce que tu t'imagines, mais je supporte pas qu'on me manque de respect ou qu'on manque de respect à Walby.

Ce que j'estime qu'il fait en sous-entendant qu'il puisse y avoir quelque chose, ce qui est forcément de la provocation envers moi, et une manière de faire des insinuations absolument pas flatteuses concernant Walburga. Oui c'est faux, je le sais bien, que c'est faux. Je n'ai jamais dit que la jalousie devait être quelque chose de rationnel. Ceci dit, Walby est quelqu'un de droit, alors ses sous-entendus pour amuser la gallerie et qui ne font rire que lui, ça ne passe pas.

Abraxas a beau dire qu'il ne me manque pas de respect, et qu'il ne manque pas de respect à Walburga, je ne suis absolument pas de cet avis. En suggérant qu'il y a quelque chose entre eux, même si c'est faux, il suggère que Walburga serait capable de légèreté de moeurs et d'infidélité, et si je peux tolérer qu'on me prenne pour une poire, je n'aime pas qu'on fasse ce genre de farces puériles aux dépens de ma fiancée. Qu'il ne le comprenne pas ou qu'il trouve ça innocent, c'est son problème. Nous n'avons pas la même mentalité, un point c'est tout.

Qu'il ne me trouve pas drôle, c'est pas mon problème, et je m'en fiche, je ne suis certainement pas là pour amuser la galerie. Et si ne pas être drôle, ce n'est pas goûter à l'humour moyen d'Abraxas, alors ça me va très bien de ne pas être drôle. D'accord, c'est vrai qu'on pourrait me faire remarquer que j'ai pas beaucoup d'humour de manière générale, Abraxas ou pas, et ce n'est pas faux. Mais en même temps, je considère que l'humour est une forme basse de conversation. Donc ça ne m'intéresse pas.

-Est-ce que je t'ai interdit de lui parler ou de la fréquenter ? je réplique d'un ton agacé.

A l'entendre je viens de lui ordonner stricto sensu de mettre un terme à son amitié avec Walby. Ce qui n'est pas le cas. Ce que je veux, c'est qu'il arrête de me provoquer ou de nous manquer de respect. Même s'il y avait de l'ambiguïté du côté d'Abraxas, ce ne serait pas grave, parce que je sais que Walby n'éprouve rien pour lui, et j'ai confiance dans ses sentiments pour moi.

-Walby fait ce qu'elle veut, j'ai confiance en elle. Mais si t'es pas capable de voir en quoi tu me manques de respect en te payant ma tronche comme tu le fais et en te servant d'elle pour ça, je peux rien pour toi. Bien sûr que tu plaisantes, mais quand on rit pas à tes blagues, c'est pas parce qu'on a pas d'humour, tu sais, c'est juste parce que tes blagues sont complètement merdiques.