Il se murmure qu'il faut être perturbé ou avoir eu une vie particulièrement éprouvante pour devenir sychanalyste, eh bien Gregory se fera le plus grand des plaisirs pour ce qui est de contredire cette affirmation toujours prononcée très légèrement par ceux qui en profiteraient peut-être pour dénigrer cette profession certes encore neuve, mais que lui-même prend très au sérieux. Non, Gregory est loin d'avoir eu une enfance difficile. Il a grandi auprès de ses deux parents, fortunés, qui lui offrirent en plus d'un cadre familial stable et équilibré, tout le confort et tout l'amour dont il pouvait bien avoir besoin. Enfant unique, il a peut-être, il est vrai, été parfois trop gâté par ses géniteurs, maiis il n'estime pas avoir été un enfant capricieux. Il était, au contraire, très poli, courtois, attentif à tout ce qui l'entourait, et avait très vite manifesté une profonde érudition, qui n'a guère été démentie depuis, qui l'a longtemps poussé à hanter la bibliothèque familiale afin de lire le plus d'ouvrages possible.

Sa scolarité a été particulièrement agréable elle aussi. Malgré son tempérament assez austère, il avait quelques amis, un nombre suffisant pour ne pas ressentir la solitude, et celle-ci nui aurait été tout à fait supportable quoi qu'il en soit, car le milieu scolaire lui allait comme un gant. Que ce soit au collège, au lycée ou à l'université, son seul but restait de se perfectionner toujours davantage et d'en apprendre le plus possible.

Ce sont la science et la médecine qui répondirent le mieux à ses ambitions, si bien qu'il fut assez naturel pour tout le monde qu'il s'engage dans de grandes études de médecine une fois ses diplômes de lycée obtenu. Ce qui fut plus inattendu, ce fut le choix de carrière qu'il entreprit alors. Toujours avide de nouvelles connaissances, et absolument fasciné par le fonctionnement de la psychée humaine, Gregory finit par s'intéresser à cet art noble mais encore nouveau - et donc controversé : la psychanalyse. Il dévora tous les ouvrages de référence de l'époque. Absolument convaincu par la pensée freudienne, il a fait du déterminisme psychisme son cheval de bataille.

Il a ouvert son propre cabinet, et même si la science (car pour lui c'en est une) qu'il prodigue n'est pas du goût de tous, il est passionné par son travail et a su, au fil du temps, se faire une clientèle. Et notamment Lisbeth Benson. Une femme traumatisée par un père abusif, d'une fragilité touchante. Avec Lisbeth, Gregory a baissé sa garde comme il ne l'avait jamais fait avec personne. Il se défendait, pourtant, d'avoir la moindre relation de proximité avec ses patients. Forcément, c'est contreproductif dans le cadre d'une guérison durable. Mais il n'a pas réussi à lutter longtemps contre ses sentiments pour Lisbeth. A ce jour, ils sont mariés et très heureux, même si Gregory sait que Lisbeth n'a pas encore vaincu tous ses démons.

Après le mariage, la suite logique était bien évidemment d'avoir des enfants. Ils ont essayé, longtemps, sans succès... Et finalement, ils ont admis qu'avoir un enfant biologique leur serait impossible. Ils ont donc fait le choix de l'adoption. S'il n'était question de Lisbeth, Gregory n'aurait jamais adopté Amy. Sa fragilité manifeste l'avait rebuté de prime abord. Sans compter qu'il était bien assez complexe, déjà, d'exercer leur métier sans faire jaser davantage en adoptant une enfant à la peau foncée. Mais le coeur a ses raisons. Pour Lisbeth, c'était Amy et personne d'autre. Aujourd'hui, il ne le regrette pas. C'est vrai, parfois, il a tendance à la regarder davantage comme un cas clinique que comme sa fille, mais il l'aime néanmoins, et persiste à penser que, tout comme Lisbeth, il réussira à la libérer de ses chimères.