Tina n'avait réintégré ses fonctions que très récemment, mais elle éprouvait le sentiment de n'avoir réellement quitté son poste. Certes, elle n'avait peut-être plus les réflexes de ses vingt ans, mais pour le reste, elle avait le sentiment d'être restée l'Auror qu'elle avait toujours été. Les vocations ne s'effaçaient pas, quoi que l'on fasse, c'est en tout cas ce qu'elle choisissait de retenir de cette situation.

Et le moins que l'on puisse dire, et sans se jeter des fleurs, c'était le cas pour tous ceux qui travaillaient au sein de ce bureau, sa présence n'était pas de trop. Elle revenait au bon moment... Plus que jamais, les Aurors étaient sur le qui-vive. La menace, bien réelle, était évidente et attendait d'être jugulée. Mais il ne suffisait pas de quelques Aurors d'élite pour venir à bout d'une (ou plusieurs) organisation qui prenait de plus en plus d'ampleur et engendrait un déploiement de violence qu'elle n'avait plus qu'entrevue depuis la défaite de Grindelwald. A croire que le cycle était perpétuel. Et pour cette raison, le rôle des Aurors resterait à jamais nécessaire quoi qu'il advienne.

Pour le moment, elle intervenait surtout en tant que consultante. Elle n'avait rien contre le fait de retourner sur le terrain, mais elle comprenait que l'on privilégie le sang neuf. En attendant, pour sa part, elle s'entraînait, elle se remettait à niveau, prête à rentrer dans le feu de l'action. Et elle participait activement aux enquêtes en cours.

Comme la plupart des Aurors, elle était en relation constante avec le département de la police magique. Dans les circonstances actuelles, les deux départements étaient plus que jamais liés et se devaient de travailler en étroite collaboration. Autant que les Aurors, ils étaient sur le qui-vive et dans le feu de l'action et elle admirait le travail de tous ceux qui avaient choisi d'oeuvrer au nom de la justice magique.

En l'occurrence, elle devait aller à la rencontre d'Alastor Prewett, qu'elle connaissait uniquement de nom, un tireur d'élite de la police magique. A l'heure dite, elle se présenta à la porte de son bureau, et frappa.

"Bonjour monsieur Prewett", salua Tina en tendant sa main à l'intéressé afin qu'il puisse la serrer. "Porpentina Dragonneau, nous avons rendez-vous."

« Bonjour, c’est exact. Entrez je vous en prie, et installez-vous. »

De prime abord, Alastor Prewett semblait être un homme sympathique et agréable. Bien sûr, Tina était bien placée pour savoir qu'il ne fallait jamais se fier à une seule et première impression, mais elle estimait tout de même que cette introduction, certes protocolaire mais néanmoins courtoise, était plutôt de bon augure pour la suite de leur entretien.

Il fallait l'espérer, en tout cas, car des rapports inutilement conflictuels entre leurs deux départements pouvaient parfois retarder plus que nécessaire des affaires qui étaient suffisamment complexes comme cela pour qu'ils évitent, en plus du reste, de se mettre inutilement des bâtons dans les roues de leur côté si cela était possible... et Tina savait pertinemment que c'était une chose qui arrivait assez régulièrement.

Pour cause, que le travail de l'un empiétait sur celui de l'autre, il pouvait se créer parfois comme un conflit presque territorial, que l'on pourrait même qualifier de conflit d'égos, forcément très inutile et infructueux, mais ce qu'il y a de plus réel malgré tout.

Tina ne demandait qu'à travailler en bonne entente avec son interlocuteur, pour sa part (elle changerait très certainement d'avis si elle connaissait davantage les activités extraprofessionnelles du tireur d'élite de la police magique, mais fort heureusement, il n'en était rien). A la demande d'Alastor, elle entra donc et s'installa.

"Comme vous le savez peut-être, je travaille comme consultante au bureau des Aurors, j'ai notamment pour mission d'éplucher les dossiers d'affaires relatives à plusieurs sorciers que nous soupçonnons aujourd'hui d'appartenir aux rangs du mage noir qui, j'en ai bien peur, nous donne à tous du fil à retordre. Vous êtes intervenu dans plusieurs dossiers dont j'ai la charge, aussi je me suis dit qu'il serait plus simple d'en discuter de vive voix avec vous."

Elle lui tendit les dossiers en question. Le premier concernait une affaire d'agression qui avait eu lieu sur l'allée des embrumes, et dont l'instigateur était aujourd'hui soupçonné d'avoir assassiné une famille de nés-moldus au nom de Lord Voldemort.

Le second concernait une affaire plus ancienne de trafic de baguettes illégales. Le prévenu avait été emprisonné mais avait quitté Azkaban récemment, lui aussi soupçonné à présent de porter la marque des Ténèbres.

« Oui, effectivement. Quels éléments avez-vous concernant ces deux affaires ? »

Il semblait très bien se remémorer ces affaires dont il avait eu la charge, et c'était tant mieux, elle semblait tout à fait apte à lui apporter les compléments d'information dont elle avait le plus grand besoin pour progresser à son tour dans son propre travail, qui consistait surtout à donner du grain à moudre au bureau de Aurors, afin de pouvoir interpeller et arrêter de nouveaux fidèles du nouveau seigneur des ténèbres en lice, qui serait peut-être capable de leur en apprendre plus, par la même, au sujet de leur maître.

"Eh bien... pas plus que ce que contiennent les dossiers que vous avez entre les mains", répondit Tina, qui n'irait pas remettre en question les éléments fournis par les Aurors mais cherchait surtout à les recouper avec ceux que pourrait lui fournir son interlocuteur. "Le premier, Alistair Rowle, est aujourd'hui soupçonné d'avoir assassiné une famille de nés-moldus. Les Fitzroy, j'imagine que vous en avez entendu parler. Nous n'avons pas rassemblé suffisamment de preuves encore pour l'incriminer, mais son alibi ne tient pas la route et un témoin visuel jure l'avoir vu rôder autour des lieux du crime. Ce serait vraiment d'une grande aide pour moi si vous pouviez revenir en détails sur l'enquête que vous aviez mené à l'époque. Qui sait si l'agression concernant laquelle vous être intervenu n'a pas été l'entraînement qui préparait Rowle à cette nouvelle hécatombe."

Bien sûr, le département de la police magique avait ses propres dossiers, et elle les avait lus, mais le dossier avait été rédigés sans connaissance préalable du drame qui surviendrait plus tard.

A présent, qui sait si Alastor ne se rappellerait pas l'un ou l'autre élément qui auraient été annonciateur du massacre à venir, et qui donc pourrait permettre plus aisément d'appréhender le suspect numéro un de l'affaire.

"Je me doute que concernant le deuxième dossier, vous aurez moins de choses à me dire. Flint était, à juste titre jusqu'alors, considéré comme une petite frappe, et aux dernières nouvelles, il a complètement mis fin à son petit trafic de baguettes illicites depuis son retour de prison. Mais certains de ses camarades de cellule ont affirmé qu'il se vantait de ce qu'il ferait une fois à l'extérieur. Et pour qui il le ferait... Alors, là encore, si vous aviez la moindre information... notamment concernant ses fréquentations de l'époque."

Tina laissa à Alastor le temps de lire en diagonale les dossiers qu'elle venait de lui remettre, dans l'idéal, il aurait fallu qu'elle puisse les transmettre plus tôt à son interlocuteur afin que ce dernier ait tout le temps nécessaire pour y jeter un oeil attentif, mais comme pour beaucoup de choses au sein du bureau des Aurors, et encore plus dans les circonstances actuelles (qui n'étaient pas près de s'arranger), tout devait se faire dans l'immédiateté et dans l'urgence.

C'était quelque part stimulant, ça ne laissait pas le temps de se reposer sur ses seuls acquis, mais ça vous faisait naturellement redouter, à certains moments, de peut-être bacler un travail qui méritait la plus sérieuse des attentions.

Alastor se mit en quête de ses propres dossiers. Recouper les informations qu'ils avaient l'un et l'autre serait en effet la manière la plus rapide et la plus efficace de progresser rapidement. Elle lui laissa le temps d'éplucher le tout avant qu'il ne reprenne la parole.

« Oui, je vais tenter d’essayer de trouver de nouveaux éléments. Malheureusement, vous savez comme moi qu’un témoin oculaire ne suffira pas sans preuves concrètes. Puisque son alibi ne tient pas la route, il faudrait le réinterroger, il pourrait peut-être fournir de nouveaux éléments, ou finir par se trahir, même si j’imagine que des crimes de cette ampleur ne sont pas commis au hasard, et que les criminels commettent peu d’erreurs, ce qui les rend si difficile à coincer. »

Tina se doutait que son interlocuteur n'aurait pas grand-chose de plus à lui apprendre que ce qu'elle savait déjà concernant Rowle, mais après tout, ça valait toujours le coup de demander. Ils ne l'avaient pas interrogés qu'une fois, dans le cas contraire, elle ne se serait pas embarrassée de cette visite et de ses questions les concernant, si elle se permettait de lui en parler, c'est que cette méthode somme toute classique n'avait pas fonctionné.

Soit... elle n'avait pas eu beaucoup d'espoir le concernant, elle savait que le plus stratégique allait être de placer le mage noir sous surveillance et attendre qu'il se trahisse ou frappe à nouveau. Un jeu de patience qu'elle s'épargnerait bien mais qui lui aussi faisait partie du métier.

« Concernant Flint je vais tâcher de regarder, mais le plus efficace serait encore de le mettre sous surveillance à sa sortie de prison, si elle ne peut pas être empêchée d’ici-là. »

"Flint n'est plus en prison, je me suis mal exprimée. Rowle et lui sont déjà sous surveillance. J'espérais malgré tout que vous auriez peut-être l'un ou l'autre élément que nous n'aurions pas nous-même à notre disposition." Elle marqua une pause et observa les dossiers qu'Alastor avait récupérés. "Ce sont tous les dossiers que vous avez les concernant ? Je peux vous les emprunter ?"

Elle avait reçu des copies et des rapports détaillés, mais sait-on jamais. Certains documents se perdaient parfois dans le processus.

« Oui, tout est regroupé dans ces dossiers, vous pouvez les prendre si vous le souhaitez. »

Tina hocha la tête. Elle n'avait qu'un vague espoir que cela serve à  quoi que ce soit, mais dans tous les cas, il fallait bien qu'elle y jette un oeil attentif. L'expérience lui avait appris que l'on pouvait souvent être surpris parce qu'il était possible de trouver dans un détail tout simple, à côté duquel on était passé des dizaines de fois.

Alors elle verrait bien, cela ne coûtait pas grand-chose que de prendre ces dossiers avec elle et de voir ce qu'elle pourrait éventuellement en retirer.

« Mais n’oubliez pas de les ramener, pas pour moi mais certaines personnes n’apprécient pas que les dossiers se baladent au sein du Ministère. »

"Ne vous en faites pas, je vous rendrai ces dossiers demain à la première heure."


Le délai était court, mais Tina avait toujours préféré s'imposer des impératifs de ce genre, cela l'obligeait tout naturellement à faire vite et à se discipliner. Quand on avait une échéance, on n'avait pas le temps de n'en faire qu'à sa tête ou de tourner autour du pot, il fallait agir rapidement et efficacement, et c'était ce qu'elle avait la ferme intention de faire pour sa part.

Alors, même si elle devait potasser toute la nuit dessus, ce n'était pas un souci pour elle. Bien au contraire, même, ça lui conviendrait très bien.

« Je ne sais pas si cela pourrait être très utile, mais je viens de me souvenir qu’à l’époque, la femme de Rowle avait été assez agitée durant l’interrogatoire. Elle n’a jamais changé sa version des faits, mais c’était comme si elle récitait quelque chose, plutôt qu’elle ne racontait ce qui s’était passé. »

"Oh... oui, en effet, ça pourrait effectivement nous être utile", confirma Tina avec un fin sourire. "Merci beaucoup pour cette précision, elle nous sera peut-être précieuse."

Ou bien ce ne serait jamais qu'un coup d'épée dans l'eau, ce qui était une possibilité tout aussi grande, mais ce genre d'informations ne tenaient pas du détail, cela pouvait vraiment vouloir dire quelque chose de plus important, et évidemment, Tina tenait à ne rien manquer de l'affaire.

"Bien sûr, si n'importe quelle autre information de la sorte devait vous revenir, n'hésitez pas à m'en informer. A ce stade, pour être honnête, nous nous raccrochons à la moindre bribe d'information."

« Merci, mais si vous avez besoin d’un peu plus de temps, cela ne me pose pas de problème. »

"Ce sera largement suffisant, ne vous en faites pas", répondit Tina avec la plus grande des assurances.

Le fait est que Tina n'aimait pas laisser traîner quoi que ce soit. Elle aimait que les choses soient faites, et bien faites, en temps et en heure, et dans des circonstances qui devaient vous pousser à mener de front bien plus d'affaires que nécessaire, c'était une bonne chose que de se fixer des échéances, en réalité : cela permettait de ne pas être pris au dépourvu, notamment.

Dans tous les cas, c'était là un travail qu'elle pouvait tout à fait fournir d'ici le lendemain matin, alors autant s'en charger le plus rapidement possible dans tous les cas. C'était dans la philosophie de Tina que de vouloir se montrer ainsi efficace.

« Je vous en prie. Je vous le dirai si quoique ce soit devait me revenir en mémoire. Je sais à quel point les affaires avec peu de renseignements sont compliquées. Surtout que le climat actuel des choses n’arrange rien, et que les affaires se multiplient. »

Si les Aurors et la police magique pouvaient avoir un peu trop tendance à se tirer dans les pattes, parfois, le fait est que dans le fond, ils vivaient des situations suffisamment similaires pour pouvoir se comprendre parfaitement quand ils en faisaient l'effort.

Oui, les affaires avec peu de renseignements étaient évidemment compliquées, très compliquées, même, et dernièrement, il était difficile de ne pas avoir le sentiment de constamment nager à contre-courant, ce qui était particulièrement éprouvant, il n'empêche que ce genre de bonne entente aidait déjà sérieusement des cas comme les leurs, preuve donc que mettre de l'eau dans son vin était bien souvent la meilleure chose à faire.

"Oui, j'ai bien peur, sans vouloir être pessimiste, que ce ne soit pas près de s'améliorer pour le moment."

Il fallait l'espérer, et c'était pour cela qu'il se battaient, mais ce serait faire preuve d'une franche naïveté que de s'imaginer que tout allait se résoudre en un claquement de doigts : ce ne serait pas le cas. Ce genre de menaces mettaient du temps à être jugulées, il suffisait de voir combien ils avaient dû batailler contre Grindelwald... et tout ceci n'était jamais au final que la droite continuité de ce qu'il avait laissé derrière lui. Son héritage, même si involontaire, en quelque sorte.

"En tout cas, merci du temps que vous m'avez consacré, votre aide m'a été précieuse. Je ne vais pas vous importuner davantage, je sais que vous avez tout comme moi du pain sur la planche."