Le temps éloigne et distend. [pv Nozéa :33]

Le temps éloigne et distend.

I
il y a quelque chose de cruel dans le fait de se dire que la vie suivra toujours inexorablement son cours, qu'elle se moque de vos rêves et de vos attentes, de vos espoirs et de vos projets, et qu'elle sera implacable avec tous. Et il n'y avait rien à faire. On pouvait lutter, bien sûr, mais c'était comme nager à contre-courant. Et en attendant, il fallait réussir à vivre. Ou essayer, du moins, du mieux que l'on pouvait. Gwendall s'était longtemps pensé maître de ses actes, en plein contrôle de sa vie... ça, c'était avant. A présent, cela faisait si longtemps qu'il avait l'impression de voguer en pilote automatique qu'il ne saurait réellement dire à quel moment précis de son existence il avait véritablement tenu les rênes de son destin.

Il s'était laissé guider, et cette erreur l'avait rendu sujet à manipulation. A présent, c'était à peine s'il décidait de quoi que ce soit. Lui qui s'était cru marionnettiste, il était devenu un bête pantin... à la solde d'un homme qui, au demeurant, ne savait lui inspirer que tout le mépris du monde. Au point même qu'il n'avait pas été capable de garder son propre fils. Il y pensait constamment. Il ne s'écoulait pas une heure, à peine une minute, sans que ses pensées voguent dans sa direction, à se demander comment il allait, s'il était en sécurité, s'il allait bientôt finir par le retrouver. Oh, il n'était pas entièrement défaitiste non plus. Il allait se battre, puisqu'il avait d'excellentes raisons de le faire. Mais l'attente n'en était pas moins insoutenable. Elle pensait sur lui avec une monstrueuse puissance. Et il fallait vivre, malgré tout, et continuer, parce que c'était ainsi que l'on jouait le jeu, que l'on préservait son rôle et sa réputation. Que l'on se donnait les moyens d'agir. Plus tard.

Il fallait donc travailler, et ce travail qui lui avait tant plu autrefois devenait une véritable corvée. Même si McDowell était plus coulant depuis le départ de Seth, ce n'est pas pour autant qu'il lui lâchait la bride non plus, et ce climat de défiance constante devenait positivement insupportable à vivre. Il donnait le change, il prenait sur lui, mais il n'attendait que de rentrer chez lui pour retrouver la seule belle chose que sa vie lui réservait encore : le réconfort des bras de son épouse. Sauf que ce soir-là, elle rentrerait tard. Elle avait un entretien d'embauche, et Gwendall espérait que celui-ci se passerait mieux que les précédents. Il n'avait pas le courage de rester seul chez lui. Il décida de faire un arrêt par le chaudron baveur. L'agitation ambiante le ferait penser moins fort. Il avait fait quelque pas à l'intérieur quand, distrait, il bouscula quelqu'un.

-Oh, je suis navré, j... Il posa un regard plus attentif sur la personne en question. Le temps avait passé, mais il était à peu près certain de la reconnaître, même si elle avait bien changé. Une ancienne amie, qu'il n'avait pas revue depuis qu'il avait quitté Poudlard. Nozéa, c'est bien toi ? ça alors, ça faisait une éternité ! Tu vas bien ? Qu'est-ce que tu deviens ?

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À peine Nozéa avait mit les pieds dans le chaudron baveur qu’elle regretta sa décision de venir. Il y avait trop de personnes, elle ne se sentait pas aussi en sécurité que dans la solitude de son appartement. Mais elle n’avait pas vraiment eu le choix que de venir… enfin, elle aurait pu aller ailleurs sans doute, mais elle avait vraiment eu besoin d’un petit interlude, d’un endroit où elle pourrait acheter de quoi boire et tenter de vider un peu son esprit. Elle était à la moitié du cycle lunaire, au moment où elle avait le sentiment de descendre vers un enfer horrible après avoir réussi à se remettre de la précédente pleine lune. Parce qu’elle savait que plus les jours avançaient, plus elle approchait de la nouvelle pleine lune.

Elle avait cru étouffer dans son appartement, elle avait eu besoin de quelque chose pour lui permettre de supporter sa crise d’angoisse, de supporter l’idée que très prochainement son corps allait de nouveau être meurtrie par le monstre qu’elle était. Sauf qu’elle n’avait plus rien eu dans son appartement, et elle avait cherché. Elle avait retourné tous les placards chez elle, sans résultat. Alors elle était sorti dans le but de boire quelques verres au chaudron baveur, pour chercher un moyen de penser un peu à autre chose et d’ignorer les idées sombres qui l’envahissait. De chercher un moyen d’éviter de meurtrir sa peau dans le but de se sentir un peu… vivante.

Elle ne savait pas si ça allait marcher vraiment, mais elle devait de toute façon essayer quelque chose. Donc elle était venue, mais elle se sentait un peu perdue autour des personnes venues sans doute profiter de l’ambiance du pub après une journée de travail. Et il y avait un peu de monde donc, au point qu’elle ne fut pas capable d’éviter une personne qui la bouscula. Elle ne tourna pas de suite son regard vers la personne, ce dernier commençant à s’excuser, avant de finalement l’appeler par son prénom. Quand elle l’observa enfin, elle le reconnu, même si effectivement les années étaient passés depuis.

« Oh salut Gwendall. » Elle ne pensait pas se tromper non, parce que même si les années étaient passés, il était quand même resté plus ou moins le même. Et les années étaient belles et bien passées… ils n’avaient pas dû se voir depuis qu’ils avaient quitté Poudlard en vérité. « C’est vrai que ça fait longtemps, je ne pensais pas… te revoir un jour. » Et c’était bizarre, elle ne parvenait pas à savoir si elle était heureuse ou non, parce que beaucoup de chose avait changé quand même depuis la fin de ses études. Et forcément, on se questionnait sur sa vie… ce qui était difficile pour elle. « J’ai quand même entendu parler de toi, j’ai appris pour ton mariage. Félicitation. »

C’était une tentative désespérée pour ne pas répondre à la question de l’homme. Cela dit, elle avait vraiment apprit pour le mariage de Gwendall, toute pestiférée qu’elle était du monde des sorciers de sang pur.

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L

e temps avait passé, et à l'évidence, ils avaient tous les deux prit un coup de vieux, mais il leur était facile malgré tout de se reconnaître. Gwendall n'avait pas vraiment hésité au moment de mettre un nom sur le visage de Nozéa, même si cette dernière lui paraissait bien plus épuisée, fatiguée, mais possible qu'ils se revoient juste à un mauvais moment. Et il appréciait de constater qu'elle n'avait pas vraiment mis longtemps à la remettre non plus. Ainsi donc, les deux vieux amis (mais pouvait-on parler encore d'amis quand ils avaient passé tant de temps sans avoir de contact) se retrouvaient, et le jeune homme était quand même plutôt curieux d'apprendre ce que ces dernières années avaient changé dans la vie de la jeune femme. Beaucoup de choses, certainement. Ils en étaient à des âges charnières de leurs existences où les bouleversements étaient forcément nombreux. Peut-être qu'elle était mariée, qu'elle avait un ou des enfants ? Certes, il n'en avait pas entendu parler si c'était le cas, mais ça ne voulait rien dire. Peut-être même - comble de fantaisie - qu'elle avait un travail, va savoir.

-Le monde des sorciers n'est pas si grand, je m'étonne surtout que nos chemins ne se soient pas recroisés plus tôt, remarqua Gwendall avec un sourire.

Il semblait parfois difficile de faire deux pas sans rencontrer les trois quarts de la communauté sorcière, pour peu qu'on soit habitué des sphères exclusivement sorcières. Et quand on travaillait au ministère de la Magie comme c'était son cas, c'était évidemment plus flagrant encore. Mais peu importe que leurs retrouvailles soient tardives, au moins se retrouvaient-ils.

-Je te remercie, tout le monde n'a pas pris la peine de nous en féliciter, répondit Gwendall qui avait une petite idée des circonstances dans lesquelles on avait dû lui apprendre qu'il était marié. On lui avait sans doute appris dans la foulée que le jeune homme était devenu persona non grata au sein de sa propre famille.

Mais Gwendall avait appris de longue date à ne plus s'excuser de ses choix. Le mariage, cela lui semblait lointain, à présent, mais Gwendall préférait que son interlocutrice en soit restée là. Elle ne semblait pas au courant en ce qui concernait Morgan, et ça l'arrangeait, c'était un sujet qu'il préférait ne pas voir arriver sur le tapis.

-Mais tu n'as pas répondu à ma question. Qu'est-ce que tu deviens ? demanda-t-il, n'hésitant pas un seul instant à insister.

Il ne s'imaginait pas que son interlocutrice puisse avoir des raisons de ne pas vouloir répondre à une question qu'il estimait à ce point banale, et qui permettait de sélectionner les informations qu'on accepter de délivrer et celles que l'on préfère garder pour soi. Depuis le temps, elle avait forcément tout un tas de choses à lui dire, c'était obligé.

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Gwendall n’avait peut-être pas tort, en affirmant que c’était étonnant qu’ils ne se soient pas recroisés plus tôt. Le monde des sorciers était en effet petit en un sens, les endroits exclusivement sorciers n’étaient pas si nombreux que cela, surtout à Londres, et quand on avait l’habitude de ne côtoyer que ces endroits, forcément ça réduisait drastiquement ce monde. Nozéa n’était pas forcément adepte du monde en dehors des endroits sorciers, mais ça ne voulait pas non plus dire qu’elle avait vraiment l’habitude de croiser beaucoup de monde, parce qu’elle s’enfermait sur elle-même. C’était ce détail qui rendait sa rencontre avec Gwendall étonnante, mais Nozéa ne pouvait pas l’exprimer comme ça à son ancien camarade d’école.

Autant qu’ils enchainent sur les retrouvailles en effet, Gwendall la remerciant concernant les félicitations de son mariage. Ce n’était pas réellement étonnant qu’on n’ait pas spécialement prit la peine de le féliciter, quand on savait dans quelle condition il s’était marié. Nozéa en avait entendu parler en effet, et en grande partie parce que ce mariage avait fait grand bruit à cause du sang de l’épouse de Gwendall. Nozéa avait été étonné d’ailleurs d’apprendre qu’un sorcier tel que Gwendall avait décidé de s’éloigner du « droit chemin », elle n’aurait vraiment pas parié sur lui. De son côté, la jeune femme n’avait pas l’intention de le juger, ce n’était pas comme si elle était légitime de juger les couples des autres. Cela aurait en tout cas grandement arrangé la jeune femme que son interlocuteur continue de parler de son mariage et du fait qu’il rencontrait sans doute pas mal de souci depuis lors, ça lui aurait permit qu’il ne lui demanda pas ce qu’elle devenait. Nozéa aurait apprécié de ne pas répondre à cette question, en grande partie parce qu’elle n’avait aucune idée de comment elle pourrait bien répondre. Certainement pas en disant la vérité.

« Eh bien, en vérité, je t’avoue que je… je ne deviens pas grand-chose. » Dans un autre monde, Nozéa aurait peut-être pu apprendre à Gwendall qu’elle était mariée à un homme maintenant, sans doute mère de plusieurs enfants et qu’elle avait une vie parfaitement normale et parfaitement rangée. Même si elle n’avait jamais réellement eu une vie réellement rangée comme il le fallait. Mais ce n’était pas le cas. « J’ai… disons que j’ai eu quelques soucis avec ma famille, du coup maintenant je tente de m’en sortir toute seule. » Ce qui n’était pas réellement une réussite. « Mais tout va bien, je travaille ici et là et je m’en sors relativement bien. » Elle essayait comme elle pouvait de faire illusion. « Et toi ? Comment ça se passe pour toi ? Tu vas bien ? »

S’ils pouvaient juste se contenter de parler de Gwendall, ça l’arrangerait énormément. Elle ne voyait pas réellement ce qu’elle pourrait rajouter la concernant.

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G

wendall grimaça en entendant la réponse de son interlocutrice. L'entendre affirmer qu'elle ne devenait pas "grand-chose", il trouvait cela tellement dévalorisant pour elle-même que cela lui conférait honnêtement un sentiment partagé entre la tristesse et l'agacement. Il refusait qu'elle se laisse abattre et qu'elle dise ce genre de choses. Car oui, peut-être que concrètement, elle ne faisait rien de notable ou de particulier, mais il y en avait plein, des gens, dans la vie, qui ne foutaient absolument rien de leurs existences mais considéraient quand même qu'ils devaient ramener leur science. Mais soit, il allait se contenter de cette réponse, en espérant que ce n'était pas un moyen pour la jeune femme de le tenir à l'écart et qu'elle accepterait de lui en dire plus malgré tout.

Avant qu'il n'ait eu le temps d'insister, cependant, Nozéa admis qu'elle avait eu quelques soucis avec sa famille. Gwendall adressa à la jeune femme un sourire de connivence à ce sujet. Si quelqu'un était capable de comprendre cela, c'était bien lui. A l'heure actuelle, il n'avait plus aucun contact avec aucun des membres de sa famille. Ceci dit, il ne les considérait plus vraiment non plus comme des membres de sa famille, mais bien davantage comme des inconnus qui avaient un jour fait partie de sa vie et en étaient repartis presque aussitôt, et comme si de rien n'était. Sa famille, c'était Sasha... et Morgan... Et tout le reste n'avait pas la moindre importance, avait cessé d'avoir de l'importance. Mais c'était un deuil compliqué à faire, et Gwendall pouvait sans mal comprendre que c'était une étape que son amie n'avait pas encore franchie de son côté : ce serait entièrement compréhensible, vraiment.

-Je suis désolé pour ta famille... Mais tu sais, parfois, couper les ponts est la meilleure chose que l'on puisse faire, je dirais même que ça nous libère d'un poids. On s'oblige à des choses innommables auprès de certaines personnes sous prétexte qu'elles sont du même sang que nous, mais ce n'est pas pour autant qu'elles le méritent. Il marqua une pause. Tu disais que tu travaillais ici et là ? Où est-ce que tu travailles en ce moment ? ajouta-t-il, quémandant tout naturellement plus de détails.

Mais il ne pouvait pas détourner l'attention de lui très longtemps non plus, et il s'en rendait bien compte, c'était à son tour de se montrer plus prolixe qu'il ne le voudrait. A moins de faire le choix à son tour de l'évasivité.

-Honnêtement... les choses sont compliquées, en ce moment, soupira-t-il en détournant le regard. Je travaille toujours au bureau des Aurors, et la situation est vraiment... hors de contrôle, ces derniers temps, mais c'est pas juste ça. Il marqua une pose, daigna reposer le regard sur Nozéa. Si tu as entendu parler de mon mariage, tu as peut-être aussi su que Sasha avait été enceinte ?

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