Au cours de ma vie et de ma carrière (les deux sont si intrinsèquement liés que je ne saurais plus trop faire la distinction entre les deux s'il me faut être complètement honnête), j'ai fait face à de nombreux scandales, à de nombreuses accusations. J'ai été pointée du doigt tant de fois, bien souvent sous des prétextes ridicules que l'on pourrait croire que tout ceci ne m'atteint plus, mais c'est faux. De divorce en divorce, j'ai gagné une réputation des plus sulfureuses. On me pense infidèle, inconstante, j'ai pourtant aimée passionnément chacun des hommes que j'ai épousé, et si j'ai été coupable de lassitude, je ne l'ai jamais été de trahison.

Mais allez dire ça à la presse à scandale, qui se délecte du moindre ragot qui me concerne. Le moindre mot prononcé, la moindre photographie volée sera immédiatement réinterprétée sous le jour qui les arrange, et toute tentative de me défendre passera pour le geste d'une femme désespérée qui cherche à se défendre de l'évidence même. Je suis habituée, oui, à faire les gros titres de Sorcière Hebdo. Je ne me suis pas habituée, en revanche, aux répercussions de ces articles à mon sujet.

Oui, j'ai vu l'article. William était paniqué au moment de voir le numéro et m'a fait la leçon. Oh, ce n'est pas qu'il me pense infidèle, il me croit si acquise qu'il ne lui viendrait jamais à l'idée que je puisse le tromper un jour ne serait-ce qu'y songer, mais il a eu d'autres manières de m'accabler de reproches : je n'étais qu'une sotte, une inconséquente, de m'être laissée voir avec Darren. Ou au moins, j'aurais dû lui parler afin que nous exploitions ce scandale à notre avantage. Bref, il m'a mis les nerfs en pelote, et il m'a laissée là, seule. Enfin non, notre fils est dans sa chambre, occupé avec sa nourrice, mais comme bien souvent, je me sens terriblement seule de mon côté.

Ce qui ne va pas durer quand on frappe à la porte. Darren. J'aurais dû m'y attendre. Je ne suis pas la seule à accuser les répercussions de ce petit scandale, après tout.

-J'espère que tu n'as pas croisé de journalistes en chemin. Venir me trouver chez moi quand mon mari est absent n'est pas exactement la meilleure manière de taire les rumeurs à notre sujet. Mais qu'ils jasent donc, entre. Je le laisse entrer, referme la porte derrière nous et le conduit au salon avant de demander à notre elfe de maison de nous servir à boire. J'espère que tout ceci ne t'a pas trop affecté.

-C'est bien parce que tu es un homme que tu peux te permettre de dire ce genre de choses, je remarque avec un fin sourire quand Darren affirme qu'étant célibataire, les rumeurs concernant sa vie sentimentale et les conquêtes qu'on lui prête ne l'affectent pas.

Il faut dire que ce genre de rumeurs auraient plutôt tendance à faire de belles réputations à ces messieurs du sexe fort. Cela prouve qu'ils sont séduisants et qu'ils plaisent. On pardonne tous les écarts d'un Darren O'Hare ou d'un Rudolf Brand. Je me retrouverais dans la même situation que la chose serait bien différente. Toute célibataire serais-je, et donc techniquement en droit de fréquenter qui je voudrais, je me retrouverais considérée comme une femme de petite vertu... Et si je préfèrerais passer pour une prostituée que pour adultère, on ne peut pas dire vraiment que l'une ou l'autre de ces positions me soient avantageuses... Mais on s'habitue. Le regard désobligeants que l'on porte sur vous, transmis à grande échelle par les tabloïds, est une chose à laquelle on s'habitue. Cela ne rend pas la chose plus plaisante, bien sûr, mais cela la rend plus... acceptable. On apprend à faire avec, disons.

-En ce qui concerne William, non, il n'en croit pas un mot. Il pense que je lui suis acquise, jamais il n'envisagerait l'idée que je puisse lui être infidèle, je remarque avec une légère pointe d'amertume dans la voix.

Je voudrais quelques fois qu'il fasse preuve d'un rien de jalousie, mais mes propos sont vrais. Il pense avoir trop à m'offrir pour que puisse seulement m'effleurer l'idée ou l'envie de voir ailleurs. Et parce que je lui appartiens, en quelque sorte, j'ai le moins le sentiment d'être lui, chose que, je crois, il n'est pas en mesure de voir ou de comprendre.

-Il était plus en colère contre moi de ne pas avoir été assez vigilante que de lui avoir éventuellement manqué de respect. Que veux-tu, ce sont les apparences qui lui importent avant tout.

Est-ce que cela se voit, que je suis amère envers mon époux ? Je pense que oui, et je m'en moque... je l'ai en travers de la gorge, c'est tout.

J'affiche un air indifférent, accompagné d'un haussement d'épaules, quand mon interlocuteur me fait remarquer que c'est une bonne chose si mon mari ne me croit pas infidèle. J'aimerais répondre que oui, mais je ne l'envisage pas réellement ainsi, pour être honnête... car même si je préfère m'épargner des scènes de ménage à rallonge, qui n'auront tout naturellement rien de reluisantes, j'aimerais qu'il soit en mesure de considérer ne serait-ce que l'idée que tout ne lui est pas dû, que son petit univers pourrait bien s'effondrer du jour au lendemain sans qu'il ne puisse rien y faire. Je voudrais qu'il prenne réellement conscience de ce que j'attends de lui, j'aimerais qu'il soit capable de se battre pour moi, ou au moins de me laisser entendre que je compte pour lui. Ce que je dois être naïve, n'est-ce pas, pour envisager une chose pareille ? Je ne vous le fais pas dire. Et j'ai tristement conscience de l'être en effet, comme je ne me vois pas réellement me battre pour obtenir ce que je voudrais. J'aimerais que les choses viennent de lui, tout simplement, mais pourquoi prendrait-il la peine de faire le moindre effort.

-L'injustice ne l'a jamais particulièrement touché, je réponds, amère, avec un sourire, quand Darren me fait remarquer que le comportement de mon époux envers moi n'est pas très juste. Ce n'est pas quelque chose qu'il m'apprend. Pour le nombre de fois où j'ai dû supporter ses sautes d'humeur alors que je n'avais absolument rien fait de mal, le moins que l'on puisse dire, c'est que je suis très clairement rodée à l'exercice. Et tu n'y es pour rien, tu n'as pas à t'excuser pour tout ça, je reprends dans un soupir.

J'aimerais vider mon sac au sujet de mon époux, j'aimerais faire de Darren l'oreille attentive dont j'ai tant besoin, mais je ne devrais certainement pas faire ce genre de choses. Je n'ai pas à le mêler à mes histoires et à lui imposer mes états d'âme, sous aucun prétexte.

-Ne t'en fais pas, j'ai déjà géré des histoires bien plus graves. Je lui adresse un sourire. Tu peux retourner à ta vie, je ferai ce qu'il faut pour que plus personne ne te pose de questions à mon sujet, sois tranquille.

Je hausse les épaules, l'air faussement indifférente, quand Darren affirme ne pas aimer me savoir malheureuse. J'aimerais ne pas l'être, j'aimerais savoir ne pas l'être, mais cela fait bien trop longtemps maintenant que je ressens ce poids sur mon coeur, ce sentiment d'insatisfaction qui ne me lâche pas d'une semelle. J'aimerais affirmer que ça finira par passer, mais je n'y crois pas moi-même... c'est comme si quelque chose s'était brisé en moi, et je ne pourrais jamais réparer ce tort... Je me sens comme... déchue... condamnée... C'est fataliste ? Je ne dis pas le contraire. J'ai toujours eu tout de la drama queen, ceux qui me connaissent ne sont pas sans l'ignorer, je pense que Darren ne l'est pas moins que les autres. Je suis quoi qu'il en soit touché qu'il semble véritablement s'inquiéter pour mon sort. Oui, ça peut donner l'air de rien, mais j'avais réellement besoin d'entendre ce genre de choses.

"Je ne dis pas que ça ne me cause pas de problème, mais il faut malheureusement faire avec." Je ris légèrement. "C'est la rançon de la célébrité, j'en ai peur. Tu sais ce que c'est..."

Cela m'a toujours conféré des sentiments vraiment compliqués et contrastés, qu'il m'est assez difficile d'expliquer à mon interlocuteur, ou à qui que ce soit. Je pense néanmoins que Darren est plus à même de comprendre que beaucoup d'autres, parce qu'il sait ce que cela fait d'être constamment sous les feu des projecteurs, il sait ce que l'on ressent quand le moindre de nos faits et gestes sont passés au crible et qu'il semble bien qu'il soit juste... impossible d'y faire quoi que ce soit, même si on le voudrait, plus que n'importe quoi d'autre.

"Le pire c'est que je sais que je ne pourrais plus jamais m'en passer... l'attention du public... malgré tout le mal que ça peut me faire... j'ai ça dans le sang, tu comprends ce que je veux dire ?"

Si quelqu'un est comprendre, je pense que c'est lui, même si je sais qu'il est bien moins... superficiel et autocentré que je peux moi-même l'être très souvent.