Je me sens épié. Ce n'est pas un sentiment nouveau. Je crois que quand on décide de mener une vie en partie secrète, et même si rien ne le justifie, on éprouve toujours cette sorte de sentiment... quelque chose qui tient de l'instinct de survie, je dirais. On sait que si l'on n'y prend pas garde, si l'on n'est pas constamment attentif aux mouvements et aux regards des autres, tôt ou tard, l'un de ces mouvements, l'un de ces regards, pourra signer notre fin. Je dirais que c'est mon avantage en la circonstance : je sais au moins parfaitement qui m'épie et pourquoi.

Et ce n'est pas de la paranoïa que j'éprouve, mais un juste et judicieux sentiment qu'un piège que j'ai en partie orchestré s'est refermé sur moi. En somme, j'ai récolté la monnaie de ma pièce, et quelque part, c'était une chose que je voulais, une chose que j'attendais. Je ne pouvais plus vivre de cette manière, et j'en avais entièrement conscience. Je ne sais pas ce qui va se passer ensuite. Henry avait raison, il était temps que je prenne ma retraite, et il fallait que l'on m'y force pour que je m'y résolve. Perdre mes fonctions n'est pas vraiment ce qui me dérange. En revanche, je redoute ce qui peut arriver ensuite, et aussi la position dans laquelle j'ai mis, par la force des choses, tous ceux que j'avais fait le choix de protéger.

Les voyageurs, les résistants... Pomona... J'ai précipité leur situation, et maintenant je dois les abandonner à leur sort. Autant dire que ça ne me réjouit pas, mais que faire d'autre ? Agir, intervenir, dans la situation présente, ce serait prendre un risque que je ne peux pas me permettre d'embrasser. Je dois faire confiance en leur instinct et dans leurs décisions. Même si l'exemple de Pomona a tôt fait de me prouver que ça n'a pas toujours été pour le meilleur.

Quand on frappe à ma porte, je ne sais pas à quoi ni à qui m'attendre. Je suis heureux de voir Hermès sur mon palier. Venir me voir ne va pas forcément lui rendre service, mais il aurait sans doute été plus suspect encore que nous nous ignorions tous deux alors que chacun sait que nous sommes amis tous les deux. C'est bien là l'un des noeuds évidents du problème.

-Je vais beaucoup trop entendre cette question prochainement, j'en ai peur, je réponds enfermant la porte derrière nous. Je vais bien. Et je tiens le coup. J'esquisse un sourire. Je vais bien, et je tiens le coup. Et c'est sincère. Je devrais te retourner la question. J'imagine que le bureau doit te coller au train ?

J'adresse à Hermès un sourire compatissant. Il ne l'a pas volé, sans doute, mais il n'a pas à s'en vouloir ou à se le reprocher. Je l'ai mis devant le fait accompli, et s'il a agi en toute connaissance de cause, il n'a pas à s'en vouloir pour autant. Nous avons fait ce qu'il fallait au moment qui le nécessitait, c'est aussi simple que cela... Et même s'il sera difficile de nous en défendre auprès du grand public, je continue de penser que nous avons fait ce qu'il fallait. Nous ne devons pas nous reprocher d'avoir sauvé des vies humaines qui ne méritaient définitivement pas d'être condamnées à la pire des sentences.

Il y aurait peut-être eu de meilleures manières de faire. Sans doute qu'il y en aurait eu de pires également. Nous avons agi en notre âme et conscience, tout simplement, et pour ce qui est d'encaisser le blâme, je sais qu'Hermès y est prêt tout autant que moi, mais ce n'est pas ce que j'attends de lui. Je sens qu'il attend après mes directives, quelque part, il ne veut pas contrarier d'éventuels plans de ma part. Mais de plans, je ne peux que prétendre en avoir.

La grande vérité, c'est que tout ceci reste particulièrement flou, en fin de compte, et je ne sais pas réellement à quoi m'en tenir, pas plus que lui. Je sais juste qu'il serait absurde et inutile de plonger en masse... d'autant que certaines positions les plus stratégiques, et celle d'Hermès l'est à coup sûr, exigent que nous agissions avec vigilance mais en toute conscience de ce qui pourra être le plus favorable ensuite à nos plans et projets.

-Ce sera difficile à justifier, je confirme quand même, faute de pouvoir prétendre l'inverse, car à l'heure où je dois préparer ma défense, je ne sais pas moi-même à quoi je dois m'en tenir. Mais pas impossible.

Je fixe un instant Hermès. La situation est grave, oui, mais il n'est pas nécessaire pour autant que nous soyons deux à plonger. Les suspicions sont là, mais s'il n'y a pas de preuves tangibles pour les appuyer, ils ne pourront rien faire. Et fort heureusement, je garde suffisamment de bonnes relations en interne pour que toute cette situation n'échappe pas complètement à notre contrôle.

-Nie en bloc, d'accord ? Tu n'étais pas au courant, tu ne sais pas comment tout ça est arrivé. Peu importe qu'on ne te croie pas, ça doit rester ta version officielle.

Je sens qu'il en coûte à Hermès de me faire cette promesse. Je voudrais qu'il y ait une autre manière de faire. Vraiment, je le voudrais. Mais il n'y en a pas, non. Enfin si, mais aucune que j'accepte en dehors de ce que je déciderais. Je ne devrais peut-être pas faire le choix pour tous les autres, mais en même temps, je ne vois pas pourquoi nous devrions tous tomber alors qu'il est possible de faire en sorte que je sois le seul à tomber. On va limiter la casse.

La place d'Hermès à Azkaban est stratégique en plus d'être essentielle, il n'est vraiment pas question que nous y renoncions, ce serait définitivement une perte. Il consent et c'est ce qui compte. Je redoutais qu'il n'insiste et ne s'oppose. Je crois qu'à sa place, je ne l'aurais même pas consulté, je me serais d'office dénoncé, voire j'aurais cherché à m'innocenter dans la foulée. Heureusement, Hermès n'est pas aussi impulsif que moi. C'est une chose qui me rassure. Je ne sais pas si j'ai le contrôle sur la situation. Il est bien probable que non. Mais je fais du mieux que je le peux, du moins.

-Je le peaufine encore, je réponds quand Hermès me demande si j'ai un plan.

C'est un demi-mensonge, destiné à le rassurer un minimum. Ce n'est pas entièrement faux. J'ai été pris au dépourvu, comme nous l'avons tous été. J'avais envisagé la possibilité d'être découvert, mais je croyais qu'il y aurait des signes annonciateurs, je pensais avoir le temps de mettre au point un plan solide, en béton armé.

Ce n'est pas le cas. J'y travaille, c'est ce que je fais à tout instant. Je compte plaider ma cause. Perdre mon poste ne me dérange pas, j'ai fait mon temps, mais je refuse en revanche de perdre davantage. Je ne renoncerai pas à ma liberté. Et encore moins à l'Ysbridion. Je le dois à mes frères d'armes, je le dois aux Résistants, et je le dois à Purdey.

-Je vais répondre de mes actes devant la Justice, et je suis bien entouré, je peux m'en tirer à bon compte, j'en suis même certain.

En suis-je si certain ? Non, mon sort n'est pas scellé. Mais rien n'est vraiment en ma faveur. Mais je ne vais pas m'en inquiéter. Il n'en est pas question.

Bien sûr que je ne suis pas sûr à cent pour cent de m'en sortir, et ce n'est pas ce que je dis. Dans la situation où je me trouve actuellement, il serait navrant de naïveté que d'aller m'imaginer que je puisse m'en tirer à si bon compte. Non, bien sûr que ce n'est pas le cas, bien sûr qu'il est très probable que la justice fasse le choix de me condamner, bien au-delà d'une mise à pied. Mais j'assume mes actes. Je sais que j'ai fait ce qu'il fallait, ce que je me devais de faire. Sur ce point, je n'ai absolument aucune forme de crainte ou de doute.

Est-ce que j'aurais préféré que les choses se passent différemment ? Cela va sans dire. Mais ça n'a pas été le cas, et ce qui importe, à présent, c'est que ceux qui sont vraiment innocents ne soient plus punis pour des torts imaginaires. Je ne m'inscris pas dans ce cas de figure. J'ai lutté au nom d'une Justice dans laquelle je continue de croire dur comme fer quoi qu'il arrive. Mais je ne suis pas innocent.

J'apprécie la dévotion d'Hermès à cette situation. Je sais que si je devais atterrir à Azkaban - mais j'en doute, mes années de bons et loyaux services (ou presque) au service du Ministère devraient me l'épargner. Il y a parfois des privilèges auxquels il serait assez absurde de renoncer -, je sais que je bénéficierais sans doute d'un traitement de faveur. Si Hermès parvient à conserver son poste, ce qui n'est pas dit, mais nous allons tout faire pour. Dans les circonstances actuelles, tout est comme en suspens. C'est un constat qui n'est pas agréable, mais qu'il nous faut bien faire.

-Oui, ne t'en fais pas pour ça, j'ai entièrement confiance dans l'avocat que j'ai choisi. Je suis certain qu'il fera un excellent travail à préparer ma défense. Je laisse passer un temps de pause. Et si ça ne doit pas suffire, Hermès, il ne faudra pas que tu te le reproches. On connaissait les risques. On ne peut pas prétendre être surpris, maintenant.

C'est ainsi, nous ne pouvons prétendre que nous agissions sans nous douter que la situation pouvait dégénérer. Elle a dégénéré. C'est comme ça. C'est peut-être un mal pour un bien. Il fallait ces grands bouleversements pour que nous progressions dans un autre, nouveau sens.

Je ne prends pas la peine de relever quand il me fait remarquer qu'il me demande une chose impossible, et que j'en ai parfaitement conscience. Oui, il a raison, c'est bel et bien le cas. J'ai conscience que ce que je lui demande dépasse de très loin ce que je peux me permettre d'exiger de sa part, mais les circonstances l'exigent, et je ne lui imposerais aucune autre alternative. Il serait stupide, selon moi, de tomber tous les deux quand il nous est possible de l'empêcher.

Bien sûr, je voudrais qu'il puisse en être autrement, que nous disposions d'autres alternatives, mais pour le moment, c'est le plus proche de ce que j'estime possible, accessible. Une façon de limiter la casse. Ce n'est pas dans mes manières de faire, en temps normal, j'évite qu'il y ait de la casse tout court, mais ce genre de méthodes ne fonctionnent pas à tous les coups, et quand elle ne suffisent pas, quand ce n'est pas assez, il faut bien savoir en passer par d'autres méthodes.

-Comme bien souvent, tu te sous-estimes, Hermès, je réponds d'un ton calme et posé quand Hermès affirme qu'il ne parviendra sans doute que difficilement à survivre au "rouleau-compresseur" qu'est le ministère.

Il a raison de penser qu'il va être dans leur ligne de mire. Peu importe que j'endosse toute la responsabilité de la situation, ne pas tirer des circonstances les conclusions qui s'imposent et ne pas voir en Hermès Diggory un complice idéal, ce serait naïf. Mais ils ne peuvent rien contre l'obstination pure, et je sais qu'Hermès est à même de l'être, obstiné, plus que ce dont il se soupçonne pourtant capable. Il peut être surprenant de remarquer quelles frontières on se sent à même de franchir, quelles limites on se découvre à même de dépasser, au nom d'une cause qui nous tient à cœur, pour défendre des intérêts qui nous apparaissent supérieurs.

-Je ne vais pas prétendre que le ministère ne t'aura pas dans sa ligne de mire, ce serait mentir, mais je ne m'inquiète pas de ta capacité à en sortir parfaitement indemne. J'ai confiance en toi.

Et je voudrais qu'il ait confiance en lui-même également, mais je le connais, par certains aspects, il est resté le même qui ne s'était jamais senti à la hauteur du reste des Warden, dont tout le potentiel n'a toujours pas été exploité.

Je m'épargne tout commentaire quand Hermès répond qu'il y en a au moins sur deux pour avoir confiance en lui-même. On aurait pu croire qu'après tout ce temps, Hermès aurait gagné un semblant de confiance en lui-même et dans ses compétences, mais ce serait mal comprendre qui était vraiment Hermès Diggory. Depuis le temps que je le connais, je ne l'ai jamais vu faire autre chose que diminuer la portyée de ses propres actions, et pourtant, il a de l'intelligence à revendre.

Sa place au sein de l'Ysbridion n'a certainement pas été volée, bien au contraire, il la mérite plus que n'importe qui, mais il ne m'a jamais donné le sentiment d'en avoir véritablement conscience. Non, il semble toujours surpris de ses exploits, et anxieux de la moindre de ses actions. Est-ce que ça ne lui portera pas préjudice dans les temps à venir ? C'est malheureusement possible, mais je veux avoir confiance en lui malgré tout. Je sais qu'il fera ce qu'il y a de mieux, et surtout qu'il fera ce qui est le plus juste, même si cela doit lui en coûter. Il sait où est sa place, et plus encore, il sait la tenir, cela ne fait aucun doute.

La façon dont il se reprend me met en confiance en tout cas. Il a effectivement raison de raisonner de cette manière. Quand il sera mis devant le fait accompli, c'est bel et bien vrai, c'est un fait, il n'aura d'autre choix que de me donner raison, il sait les enjeux, et il sait par conséquent qu'ils ne sont pas que personnels, non il n'est pas question que de cela. Les enjeux sont autrement plus importants, et même ces enjeux nous dépassent dans les grandes largeurs.

-Oui, je n'en ai pas douté un seul instant, je confirme dans un hochement de tête approbateur quand Hermès me promet de me tenir au courant du déroulé des événements au fur et à mesure. Je ne m'inquiète pas de le voir tenir promesse, là encore, je sais que je peux lui faire confiance (même si j'ai, très souvent - trop souvent - accordé ma confiance un peu trop à la légère). Je pense que tu devrais y aller, j'ajoute ensuite, sans pourtant vouloir le chasser, passer trop de temps en ma compagnie a peu de chances d'arranger tes affaires, j'en ai peur.