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rpheus aimerait être capable de se dédoubler, et être à dix endroits en même temps. Il en aurait bien besoin à l'heure actuelle, lui dont le besoin de tout contrôler et le désir de tout perfectionner étaient mis à mal par les circonstances. Il ne regrettait aucun de ses choix, il les estimait tous essentiels, mais il est certain que son temps était plus que jamais partagé. Et son temps lui était plus que jamais compté.

Avoir décidé de remplacer au pied lever la terroriste Pinkstone afin d'exercer son influence auprès des plus jeunes et de dispenser au plus grand nombre une culture digne de ce nom de la prévalence du sang sorcier sur le sang moldu, c'était un choix qu'il ne regrettait pas, mais qui le rendait moins disponible, d'autant qu'il devait préparer ses cours au jour le jour, n'ayant pas vraiment eu l'occasion de prendre de l'avance et n'ayant aucune envie de s'appuyer sur le plan de travail décidé par la criminelle qui l'avait précédé (il ne manquerait plus que ça, il devait justement effacer tous les dommages qu'elle avait éventuellement causés, il considérait que c'était cela, son rôle).

Mais ses cours ne pouvaient pas être sa priorité néanmoins. Non, sa priorité restait encore et toujours son fils, et d'autant plus qu'il le sait en danger. Amos aura onze ans en août, le temps qui les sépare de la date fatidique se rétrécit à une vitesse monstrueuse, et il ne peut pas attendre passivement l'échéance. Alors, même s'il pouvait laisser Amos à ses grands-parents et rester dormir à Poudlard, il n'y tenait pas, il comptait rentrer chez lui. Même s'il commençait à se faire tard, et qu'il était loin d'en avoir fini.

Penché sur un bureau, Orpheus bûchait sur son prochain cours, confortablement installé dans la salle des professeurs, désertée par le reste de ses collègues. Il ne savait pas depuis combien de temps il était affairé à la tâche, et il fut comme brusquement tiré du sommeil quand il entendit la porte de la salle grincer et s'ouvrir.

Orpheus tourna son regard vers ladite porte. Un jeune homme se trouvait dans l'embrasure. Le genre qui ne payait pas de mine, trop âgé pour être encore un élève, mais qu'il ne se souvenait plus avoir déjà vu à la table des professeurs.

-Ne vous dérangez pas pour moi, j'avais fini de toute manière, répondit Orpheus en considérant son jeune interlocuteur. Pardonnez-moi, il me semble ne pas vous avoir encore croisé ici. Il lui tendit la main d'une manière presque protocolaire, pour l'inviter à la serrer. Orpheus Beurk, professeur d'étude des Moldus. Vous êtes... ?

Pas un professeur, sans doute, peut-être le fameux apprenti de Beresford, le concierge ? Il en avait vaguement entendu parler mais ne s'y était pas intéressé outre mesure. Mais ça pourrait changer à tout instant.

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e jeune homme se présenta. Il était bel et bien l'assistant du concierge, semble-t-il voué à le remplacer une fois qu'il aurait pris ses marques, mais ce ne fut pas ce qui intéressa le plus Orpheus Beurk. Ce qui l'intéressa, c'était son nom. Argus Rusard, il avait déjà entendu parler de ce jeune homme. Fils de sorcier mais pas sorcier lui-même. Il avait travaillé à Pré-au-Lard il n'y a pas si longtemps de cela. Un cracmol à Poudlard... Vraiment ? Beaucoup affirmaient qu'Albus Dumbledore perdait doucement la boule. Pour avoir nommé un demi-géant garde-chasse et une terroriste au poste qu'il occupait à présent, il y avait de quoi se poser des questions. Cette nouvelle découverte semblait confirmer une bonne fois pour toutes que le remplaçant d'Armando Dippet, loin d'être une valeur sûre, et quand bien même il était considéré par beaucoup comme un héros et le sorcier le plus puissant qui ait jamais existé, était vraiment... contestable dans ses décisions.

-Argus Rusard... J'ai déjà entendu parler de vous.

Orpheus le jaugea de haut en bas, avec quelque difficulté à dissimuler le mépris qu'il lui inspirait. Au fond, il aurait dû s'en douter : tout en lui transpirait la défaite. Il était manifestement voué à la non-exceptionnalité.

-J'ignorais que les Cracmols pouvaient même avoir accès à Poudlard.

Il savait que le château était protégé par un sortilège repousse-Moldus (encore heureux, il ne manquerait plus que n'importe lequel de ces énergumènes puisse y entrer et en sortir comme dans un moulin), et il avait tendance à faire l'évident amalgame entre Moldus et Cracmols. Pas de pouvoirs, logés à la même enseigne, donc... Mais visiblement, les enfants de sorciers pouvaient faire office d'exception. Un instant, Orpheus songea à son fils, qui pourrait peut-être être placé à Poudlard en dépit de ses inaptitudes, de fait... mais cette pensée fut très vite chassée de son esprit tant elle était insultante autant pour lui que pour Amos. C'était avec ce genre de raisonnements qu'il empêcherait la chair de sa chair de s'épanouir et de devenir qui il était réellement.

En revanche, il y avait une leçon à tirer de la présence du Cracmol en ces lieux. De cela, Orpheus fut très vite convaincu. Et en dépit du mépris qu'il avait affiché plus tôt, il parvint à employer un ton légèrement plus aimable quand il reprit la parole. Cette rencontre n'était pas anodine.

-Cela doit être frustrant, non ? De travailler pour une école qui vous a refusé comme étudiant ?

Il ne le caressait pas dans le sens du poil, c'est certain, mais ce n'était pas le but de la manœuvre, pas du tout. Il voulait jauger les insécurités de son interlocuteur, pour déterminer si elles pouvaient être exploitables ou non. Mais quel non-magique ne voudrait pas palier à ce triste sort ?

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e moins que l'on puisse dire, c'est que le jeune concierge n'était pas particulièrement aimable, mais c'était une chose qu'Orpheus pouvait bien laisser passer au vu des circonstances. Il détestait l'impolitesse et l'irrespect, surtout quand elles s'adressaient à lui, cela va sans dire, mais Argus Rusard avait quelques circonstances atténuantes, il est vrai. Au final, ce ton déplaisant qu'il employait révélait quelque chose de plutôt encourageant, c'était la preuve que le jeune homme était loin, bien loin de bien vivre sa situation. En même temps, comment le pourrait-il ? Être cracmol, c'était sans doute ce qui pouvait vous arriver de pire (pire encore qu'être né moldu, c'est dire)... Orpheus estimait que les parents d'Argus étaient à blâmer dans ces circonstances : ils s'étaient peut-être estimés d'une grande bonté d'âme en autorisant leur fils à survivre à sa condition, mais à quel prix ? Il vivotait et son existence n'avait de sens et d'intérêt pour personne, y compris pour lui-même. Enfin, jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui, Orpheus devrait presque remercier les parents du jeune concierge, car grâce à eux, il entrevoyait une possibilité qui jusqu'alors lui avait trop cruellement manqué.

Que le jeune homme se montre particulièrement mal luné et désagréable en disait long sur combien il exécrait sa condition, et dans l'esprit du professeur d'étude des Moldus, il remplissait donc les conditions les plus idéales. Il fallait, en effet, que le Cracmol se désespère d'être qui il était (en même temps, il fallait être un individu particulièrement stupide pour tolérer le fait d'être cracmol sans le moindre regret), pour qu'il accepte le marché qu'Orpheus se voyait passer avec lui. Le jeune homme le sentait d'avance, tout ceci allait être d'une simplicité enfantine, et lui, il y gagnerait tout, un peu de paix pour Amos, et un peu de paix pour lui-même, que l'on ne cessait d'accuser d'absurde maltraitance alors que rien ne comptait plus au monde à ses yeux que la santé physique et mentale de son fils unique.

-Est-ce que tu en es vraiment certain ? de ne rien pouvoir y faire ? demanda Orpheus avec un douceur de ton tout à fait suspecte quand on savait combien le mépris prévalait généralement quand il avait affaire à quiconque il estimait inférieur à lui (ce qui comprenait un bon nombre de personnes, ce n'est rien de le dire). Est-ce que tu penses avoir tout essayé ?

S'il avait essayé quoi que ce soit, mais c'était probable. Si ce cracmol cherchait à s'intégrer aux sorciers si ardemment qu'il était prêt à accepter un poste de sous-fifre à Poudlard juste pour avoir l'occasion de mettre les pieds dans l'école qui l'avait autrement rejeté, c'est qu'il devait se sentir prêt à tout pour être comme n'importe quel autre sorcier.

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insolence affichée de ce moins-que-rien donnait presque la preuve en elle-même de combien il avait déjà vécu trop longtemps. Il était l'exemple même d'inutilité et d'amertume qu'Orpheus refusait à tout prix voir son fils devenir. Il aurait fallu que ses parents aient pitié de cette absurdité de la nature et mette un terme à ses souffrances tant qu'il en était temps. Mais ils n'avaient manifestement pas eu cette clémence. Soit, Orpheus n'allait pas les en blâmer au regard de l'opportunité qu'il se voyait de plus en plus dans l'optique de saisir. Argus était parfait dans toute son imperfection, il était sa dernière solution.

Car oui, il n'était pas bien difficile de lire entre les lignes toute la frustration qu'éprouvait ce jeune homme au quotidien, s'il avait accepté à la demande improbable de Dumbledore de devenir concierge au sein de l'école de magique, ce n'était certainement pas parce qu'il nourrissait un amour irrépressible pour le nettoyage de carreaux, mais bien plus sûrement parce qu'il avait saisi l'opportunité que le bon sens voulait qu'il n'ait jamais eu d'avoir le droit de fouler au pied le sol de Poudlard, où plus rien n'était sacré depuis bien longtemps, c'était admis.

Le concierge soulevait un point tout à fait irréfutable : il était impossible pour un Cracmol d'échapper à sa condition. C'était ainsi. Dénué de magie, de la seule chose qui éventuellement pourrait le rendre à ceux qui avaient été les siens, il était coincé, c'était sa malédiction. Mais des pouvoirs et des connaissances, Orpheus en avait. Plus une foule d'expériences à l'esprit qu'il n'avait jamais osé faire subir à son fils de crainte des résultats alors même que c'était sans doute la plus dangereuse de ces expériences qui réussirait à réveiller la magie qui, il en était sûr, sommeillait en lui. Sur Argus Rusard, il n'aurait vraiment pas l'ombre du moindre scrupule à mener la moindre de ces expériences.

Cela aboutirait-il au moindre résultat ? Il n'en était pas convaincu du tout. S'il était sûr et certain que son fils dissimulait en lui une magie qu'il fallait savoir ramener à la surface, il n'était vraiment pas convaincu que ce jeune homme ait la moindre once de magie en lui. Mais il devait essayer. Le temps lui était compté, le nombre de ses options se réduisait à une vitesse vertigineuse, alors toutes les options qui se présentaient, peu importe leur éventuelle vacuité, il devait les essayer.

-Mais moi, des pouvoirs, j'en ai. Si c'est ce que tu souhaites, je pourrais t'aider.

Qu'il le souhaite ou non n'était pas vraiment la question, mais tant qu'à faire, Orpheus préférerait que le jeune homme soit sa victime consentante, ce serait beaucoup plus simple comme ça.

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ourquoi ferait-il ça ? La question était en effet on ne peut plus légitime, à vrai dire. Ce qui est certain, c'est que ce n'était certainement pas la compassion et l'empathie qui le poussaient à se soucier du sort d'Argus Rusard. S'il choisissait de lui prêter main forte, ce n'était absolument pas par altruisme ou dans l'espoir de l'aider, son sort l'indifférait au plus haut point. Le jeune Cracmol était... le pigeon idéal, quelque part, et il ne semblait que trop pressé de se faire plumer, alors, à partir de là, pourquoi Orpheus passerait-il à côté de cette opportunité par bien des aspects on ne peut plus séduisante.

Il devrait peut-être inventer une excuse, prétendre qu'il était sensible au sort de son interlocuteur, qu'il ne pouvait imaginer la douleur que son interlocuteur devait ressentir, à évoluer ainsi dans un monde qui le rejetait naturellement, puisqu'il n'était pas l'égal de ceux qui y évoluaient, mais il ne ressentait pas de compassion à son adresse. De toute évidence, le jeune concierge ne savait pas où était sa place, dans le cas contraire, il aurait su la garder et n'entacherait pas la réputation d'une école de magie autrefois prestigieuse par sa présence inacceptable et pourtant tolérée par ce laxiste de Dumbledore.

Oui, il pourrait jouer la carte du pathos. Mais s'il considérait le jeune homme comme un individu foncièrement inutile, et dont ses parents auraient dû avoir pitié à l'époque en mettant fin à ses jours, il ne pensait pas qu'il était idiot. Il avait connu le mépris des sangs purs depuis bien assez longtemps pour savoir que son interlocuteur ne le méprisait pas moins qu'aucun autre sorcier de sa caste. Certes, il y avait toujours des exceptions, des amoureux des moldus et des impurs, dont Orpheus avait malheureusement un exemple beaucoup trop pertinent dans son entourage, en la personne de Theodosia. Mais il n'avait certainement pas envie d'être associé à cette catégorie d'individus, même si c'était pour la bonne cause. La meilleure cause du monde, même, puisqu'il était question d'Amos.

-Je ne le fais pas pour vous, répondit posément. Mais c'est une expérience qui m'intéresse à titre personnel.

Il n'avait pas l'intention de lui parler de son histoire dans le détail. Le simple fait de le faire serait d'une part un aveu de culpabilité qu'il s'épargnerait pas, et d'autre part l'aveu de ce qu'il refusait de reconnaître ne serait-ce que pour lui-même, à savoir que son fils était un Cracmol. Et ce mot, quand il était question de la chair de sa chair, restait proscrit. Demeurerait proscrit.

-Tout ce que vous avez à savoir, c'est que mon intervention peut vous bénéficier. Alors soit vous continuez de vous lamenter sur votre sort, soit vous acceptez mon aide.

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rpheus avait nombre de défauts, même s'il n'était pas capable de s'en reconnaître le moindre, et parmi cette foule manifeste de défauts en tous genre, il y avait bien évidemment le plus important : il était convaincu de tout maîtriser, toujours certain d'avoir l'ascendant sur les situations qui se présentaient à lui. Parce qu'il était suffisamment intelligent, avisé et prudent pour se prévenir de toute situation qui pourrait lui coûter cher. Est-ce que c'était vrai ? Non, bien sûr que non, et d'ailleurs, l'expérience lui avait déjà prouvé le contraire... Si vraiment il avait le plein contrôle de la situation, son fils serait déjà préinscrit à Poudlard à l'heure qu'il était, et sa femme ne serait pas en prison. Mais n'essayez pas de le raisonner à ce sujet, vous perdriez votre temps.

Oui, Orpheus avait l'intime conviction d'avoir raison et d'avoir le plein contrôle sur cette situation. Il était convaincu qu'Argus Rusard ne pouvait qu'approuver le petit marché qu'il passerait avec lui et qu'au bout du compte, par son intermédiaire et en se servant largement de lui, il réussirait où il avait jusqu'ici échoué. Il ne doutait pas une seule seconde de la réponse de son interlocuteur. Et pour cette fois, les circonstances lui donnèrent effectivement raison.

Peut-être que le jeune concierge avait ses doutes et ses questionnements, mais il fit le choix de les passer sous silence. Aux yeux d'Orpheus, c'était un excellent signe. S'il décidait de taire ses éventuelles craintes et circonspections, c'est qu'il estimait qu'elles demeuraient inférieures au gain qu'il pourrait éventuellement obtenir en jouant son jeu, ce qui signifiait donc par extension qu'Argus Rusard serait prêt à tout accepter de lui et donc à aller loin, très loin dans l'expérience du moment que celle-ci lui permettait d'obtenir ces pouvoirs qu'il espérait toujours gagner après tant d'année. Et il serait servi. Ce serait sa récompense. Si tout se passait bien, du moins. Et il n'y avait pas réellement de garantie à ce sujet... Mais la situation était de toute manière bien trop urgente pour s'embarrasser de la moindre garantie, quelle qu'elle puisse être.

-Ce n'est ni le lieu, ni l'heure d'en parler en détails. Surtout pas alors qu'il redoutait que Dumbledore laisse traîner ses yeux et ses oreilles un peu partout. Il tira une carte de visite de sa poche, sur laquelle il nota ses informations personnelles. Rejoignez-moi à cette adresse demain soir sans faute. Il marqua une pause. Moins vous en saurez, mieux ça vaudra. Et évidemment, pas un mot de tout ceci à qui que ce soit, c'est bien clair ?

Si l'affaire s'ébruitait, il le paierait cher à coup sûr, mais Orpheus ferait le nécessaire pour que le jeune concierge tienne sa langue.

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