Hier soir, ma chouette a rapporté un courrier très formel et très court de la part de mon maître. C'est en fait la réponse à ma demande au sujet de la petite Jo Benett. Ces derniers temps ont été durs pour elle, sa confiance envers la beauté de ce monde s'étiole à grande vitesse ainsi que son innocence qui me plaisait si peu. C'est le moment idéal pour frapper avant que d'autres élèves peu opportuns ne s'en mêlent. Cela fait longtemps que nous tournons autour d'elle comme des requins autour d'une proie. Étant certainement la mieux placée dans les relations de la jeune fille depuis sa tragique histoire de coeur avec Daniel - beurk -, il n'y a aucun doute sur le fait que c'est à moi que reviens la tâche délicate de faire pencher Jo en notre faveur. Les chevaliers de Walpurgis doivent d'étendre dans le silence et prendre de l'ampleur dans la société. Issue d'une famille pure et respectée, elle nous apportera un grand soutient, je n'en doute pas.

Mon regard accroche d'ailleurs la brunette lorsque je m'approche de l'entrée de la bibliothèque. Alors que je cherche la meilleure façon de l'aborder, c'est elle qui se jette à l'eau en agitant sa main chaleureusement en guise de salut. confiante et décontractée, je lui fait un de mes sourires charmeurs et je m'approche pour lui coller une bise sur la joue. Sa peau est plus pâle que d'habitude, je trouve qu'elle a un peu maigri et je ne manque pas de remarquer des cernes violettes sous ses yeux ternes. la vie n'a pas été très juste avec elle et si ça n'arrangeait pas mes affaires j'en aurait sûrement été peinée. Malgré sa naïveté maladroite, je trouve que cette fille a du courage et une certaine forme de force intérieure. Avec la bonne influence, je suis certaine qu'on pourra en tirer quelque chose de probant.

« Bonjour Jo, tu n'as pas l'air d'aller très bien. Je me suis inquiétée en voyant que tu ne passais plus si souvent à la bibliothèque. »

C'est vrai, lorsque j'ai pris ce poste je pensais que je la verrai tous les jours, mais Jo ne s'est presque pas présentée dans mon petit sanctuaire depuis le début de cette année. ce n'est pas que la Serpentard n'est plus elle-même, mais elle ne ressemble plus tellement à celle que j'ai connue l'année dernière. Dans un sens, je suppose que c'est un avantage. Mon regard balaye la grande pièce silencieuse. Quelques élèves bouquinent à gauche et à droite, la plupart des collègues voire des amis comme Eden que j’aperçois non loin de là, dans le rayon des manuels de botanique. Cet endroit n'est pas assez sûr pour papoter. Je ferais mieux d'emmener ma camarade dans mes appartements, histoire d'éviter les oreilles indiscrètes.

« En fait, je te cherchais justement. J'ai quelque chose d'assez important à te demander, on pourrait monter dans mon bureau ? On serait plus à l'aise pour discuter. »

Sans vraiment attendre sa réponse, je souris et prends le chemin à travers les grandes allées de livres pour atteindre la petite porte dérobée à l'autre bout. Mes appartements sont vraiment bien planqués dans un coin, tant et si bien que beaucoup d'élèves se sont mis à croire que je dors dans la réserve, sur les tables. Non mais franchement, parfois je suis sidérée par l'imagination tordue et débordante des adolescents.

Le sujet est délicat même si je suis sûre à 97% que Jo rejoindra les chevaliers sans poser de problèmes. Fut un temps où je n'avais pas cette certitude, mais la cruauté de la vie et des gens peut vite faire changer quelqu'un. La petite fille innocente que j'ai connue pendant mes études semble bien loin aujourd'hui. Il ne reste plus qu'un coeur brisé et une quête d'affirmation de soi-même. Peu m'importent ses excuses pour son absentéisme à la bibliothèque, je sais déjà ce qui la perturbe et je sais aussi que je peux l'aider à s'en sortir. Les attaches sentimentales à anéantir, c'est plus ou moins devenu ma spécialité depuis que j'ai tué mes parents de sang-froid.

Je laisse mon " amie " entrer dans la pièce, la laissant découvrir le peu de décoration que j'ai faite de ces appartements. De toute façon je n'ai pas l'intention de prendre racines ici, il y a un logement bien plus luxueux qui n'attend que moi : celui de la bibliothécaire. Être une assistante ne me satisfait plus, j'ai besoin de plus d'autorité. Sans compter que cette vieille folle surveille mes moindres faits et gestes et entrave mes agissements pour les Chevaliers de Walpurgis. Autant éviter les témoins gênants. Je souris calmement et désigne un fauteuil confortable à Jo, espérant qu'elle s'installera ici avec confiance, prête à écouter ma proposition. Pour ma part, je prend place sur le fauteuil derrière mon bureau, face à elle. Les coudes posés sur la surface lisse et brillante du bureau, je croise les doigts, prenant une pose très adulte.

« C'est plus une proposition qu'une demande. Ne prends pas cet air crispé et solennel, nous sommes amies et mon nouveau statut disparaît lorsque nous sommes seules. »

Mon principal but pour le moment est de gagner sa confiance absolue. Si Jo se met en tête que je suis l'unique solution à tous ses problèmes, je n'aurai plus le moindre soucis pour la rallier à nos troupes. Rien n'est plus important que de gagner très vite plus de puissance. Tom a été très clair, il nous faut rester méfiants vis-à-vis des élèves venus du futur. Plus nous serons nombreux tout en étant discrets et moins ils pourront nous cacher des choses.

Je l'écoute me raconter ce qui lui a été infligé et me montrer sa baguette qui porte encore quelques tâches cendrées là où les flammes avaient commencé à attaquer le bois de la baguette. C'est une chance qu'elle fonctionne encore. Une petite minute de plus dans la cheminée et Jo était bonne pour s'en racheter une neuve. Je soupire en secouant la tête, excédée. Non mais franchement, quel manque de finesse ! Déjà que c'est loin d'être courageux de s'attaquer à deux grandes contre une petite fille, mais en plus jeter sa baguette dans le feu, c'est stupide et abusif. Tout ça pour un garçon aussi crétin que Daniel, en plus ! N'importe quoi. Un sourire tendre et rassurant s'étire sur mes lèvres et je lui accorde un clin d’œil de connivence.

« Il serait stupide que tu essayes de répondre à la violence par de la violence. Pourquoi est-ce-que tu n'essayerais pas d'être plus intelligente qu'elles ? Je peux te donner quelques cours particuliers d'auto-défense, mais ça ne servira pas à grand chose dans l'optique qu'elles restent deux sorcières confirmées contre toi. » Je marque une pause, puis ajoute. « En revanche, il existe des moyens plus fins et plus simples pour obtenir leur respect. Pour éviter les renards, le plus simple est de se promener avec la horde de loups. Associe toi à des prédateurs plus dangereux encore et tu n'auras plus d'ennuis... »

Parfait, la voilà la chance que j'attendais pour faire rentrer Jo dans le groupe des chevaliers. Inutile de lui présenter tout de suite nos idéaux et les aspects plus effrayants de notre secte, il suffirait de la rallier lentement au groupe, lui faire croire que nous sommes ses camarades. Lou n'osera pas s'attaquer à un pion de Tom et Ines ne s'attaquera pas à elle toute seule, surtout si nous sommes tous dans les parages. Je ne suis pas peu fière de cette idée, même si ça va demander du temps pour gagner la confiance de Jo.

« Si tu veux, je peux te faire rentrer dans la bande. Nous ne sommes plus tous dans l'école mais nous sommes tout de même encore assez nombreux pour les dissuader de s'attaquer à toi. Je crois savoir que Tom t'apprécie un peu. »

Je ne vais pas lui dire qu'il ne voit en elle qu'une potentielle alliée, ça briserait un peu le charme de ma proposition. Être " amie " avec le préfet en chef de serpentard devrait la rassurer. Je pouffe de rire rien qu'en imaginant la tronche de Lou voyant Jo se promener auprès de Tom comme un nouveau petit trophée dans sa collection.

« Lou ne s'attaquera pas à une amie de son petit-ami, fais moi confiance. Et puis ça te permettra de gagner en assurance. Peut être même que tu apprendra à te débrouiller seule et à flanquer une roustes aux pestes dans leur genre. »