Charis était lessivée, il faut dire que sa dernière mission pour les mangemorts n'avait pas été de tout repos. Avant de rejoindre les rangs de Lord Voldemort, elle n'avait jamais combattu, pas une seule fois. Elle connaissait les sorts et théorie, et elle s'était exercée à sa manière, sans que ce soit jamais sur de véritables sujets, alors elle n'était pas novice non plus, mais elle reconnaissait quand même qu'il y avait une grande différence entre ce que l'on apprend dans le confort de son manoir et ce que l'on apprend en situation, sur le tas.

Avant tout ceci, Charis n'avait jamais vu qu'un seul cadavre dans sa vie, celui de sa grand-mère, quand elle l'avait retrouvée le regard vitreux et la bouche ouverte allongée dans son lit, sans plus l'ombre d'une respiration, mais les cadavres qu'elle faisait elle-même, c'était autre chose.

Pourtant, ça ne lui déplaisait pas... au contraire, même, elle avait tendance à trouver ça pour le moins grisant... Elle était fière du monde qu'elle était en train de construire, elle était fière d'apporter sa pierre à l'édifice, elle éprouvait de l'euphorie à se sentir utile, nécessaire.

Ce qu'elle se ressentait beaucoup moins être au sein de son foyer. Ce n'était pas faute de faire des efforts, pourtant... Mais elle avait le sentiment de faillir à sa vocation première, et c'était assez frustrant, il est vrai.

Charis, une fois rentrée de mission, s'était lavée et changée avec soin, afin de se présenter au retour de son époux dans tout ce qu'elle était capable de perfection. Il n'allait pas tarder, en effet, et elle tenait à ce que, à son retour, tout soit impeccable. Faisant le tour du propriétaire, elle était à l'affût du moindre grain de poussière, de la moindre trace de saleté.

La table était dressé, le fumet d'un repas en train de cuire embaumait la salle à manger... Tout lui semblait impeccable. Une chance pour elle, en plus de toute sa rigueur, elle pouvait compter sur l'implication de leur elfe de maison, qui était aussi dévouée qu'une elfe de maison pouvait l'être.

Quand elle eut fini son inspection, elle prit place dans le salon, son carnet d'adresse à la main. Elle prenait soin de le mettre à jour régulièrement, et avec encore plus d'application en ce moment, car elle savait que la moindre de ces relations pouvaient jouer un rôle charnière dans l'empire en train de se construire.

Ce fut à ce moment-là qu'elle entendit la clé se tourner dans la porte d'entrée. Caspar rentrait. Charis se releva, prit soin de corriger les éventuels plis sur sa robe et l'accueillit sur le pas de la porte, un sourire aux lèvres, aimable, aimant, mais discret.

"Bonsoir." Elle le débarrassa de sa veste. "Tu as passé une bonne journée ?"

« Ça a été. »

La réponse de Caspar était très froide et très neutre. C'était habituel, chez lui. Jamais la moindre démonstration d'affection (quelle affection, en même temps ?), jamais le moindre mot tendre, et jamais il ne lui retournait sa question.

C'était peut-être normal, il n'avait aucun compte à lui rendre, et il ne lui devait aucune tendresse... mais par moments, elle en apprécierait tout de même un peu. En récompense à ses efforts. Mais cette soirée ne ferait pas exception à toutes les autres, elle se déroulerait selon le même schéma, et deviendrait bien vite morne et silencieuse. C'était comme cela. Ce devrait toujours l'être, certainement.

Il se dirigea vers la table de la salle à manger où le dîner les attendait, Charis attendit qu'il soit assis, afin de s'assurer que tout lui convenait et de ne pas avoir à se relever dans l'instant, et s'installa à son tour. L'elfe de maison se mit à l'ouvrage. Remplit leurs verres de vin, ainsi que leurs assiettes. Ce fut à ce moment-là que Caspar reprit la parole, au grand étonnement de Charis qui s'attendait à un nouveau dîner silencieux, ou bien à chercher à alimenter la conversation seule sans succès.

« J’ai fait un tour sur le chemin de traverse aujourd’hui. »

En soi, l'information était banale, et cela faisait presque plaisir à Charis, parce que discuter de tout et de rien, même cela, ils ne le faisaient jamais.

Mais elle allait bien rapidement déchanter, car Caspar lui parlait de sa sortie sur le chemin de traverse pour une raison précise.

« J’y ai croisé ta sœur. »

Sa soeur... Elle aimerait qu'il parle de Callidora, mais puisqu'il ne l'avait pas nommée et vu son ton, il était clairement question de Cedrella. Elle n'aimait pas la tournure que prenait la discussion. Ils avaient soigneusement évité de parler de Cedrella jusqu'alors, et ça lui allait très bien. C'était un sujet difficile à aborder. Mais elle n'allait pas pouvoir y échapper.

« Elle essayait des robes de mariée. »

Ah...

"Oh...", dit Charis qui reposa prudemment les couverts qu'elle venait tout juste de saisir, tout à coup mal à l'aise. "Donc ça y est..." Il fallait s'y attendre, à un moment ou à un autre, elle allait épouser son fichu rouquin... Sauf si ils faisaient ce qu'il fallait. "Qu'est-ce que vous vous êtes dit ?" demanda-t-elle, feignant une indifférence qu'elle n'éprouvait pas.

« Pas grand-chose. »

Charis n'était qu'à moitié satisfaite de cette réponse. Au fond, si cette réponse devait être sincère, elle appréciait que la conversation de Caspar avec sa soeur ne se soit pas éternisée, car la seule idée de les savoir tous les deux dans la même pièce n'avait définitivement rien pour lui plaire.

Mais justement, elle n'était pas certaine qu'il soit sincère. Il était tout aussi possible qu'il refuse seulement de lui apprendre de quoi ils avaient bien pu parler plus précisément. Et si tel était le cas, c'était loin de la ravir.

Non pas qu'elle puisse s'imaginer avec Cedrella une concurrence autre que celle qui les opposa dès l'instant où on offrit sa main à Caspar pour compenser la fuite de la cadette, mais elle n'aimait pas davantage malgré tout que cette concurrence puisse être alimentée d'une façon ou d'une autre.

Mais dans tous les cas, elle connaissait bien assez son époux pour savoir qu'il ne lui accorderait aucune réponse satisfaisante. Il ne devait pas penser lui en devoir la moindre par ailleurs, d'ailleurs, à son grand regret.

« Elle se trouvait dans une boutique de seconde main, ça ne semblait pas la déranger. »

Charis grimaça. Preuve était faite que Cedrella avait définitivement et radicalement changé. Fut un temps ou la simple idée de se rapprocher trop ce genre de boutique aurait été à ses yeux une offense.

Mais qu'attendre d'autre de la part de celle qui avait renoncé à sa vie confortable pour le roturier Weasley. Elle avait perdu l'esprit, il n'y avait rien d'autre à comprendre. Le lui rendre, pourquoi pas ? Mais est-ce que c'était seulement possible.

Charis envisagea de demander à son époux ce que lui-même pouvait bien faire, au fait, dans cette boutique de seconde main, elle décida de s'abstenir. Pourquoi poser sans cesse des questions auxquelles il ne répondrait pas.

« Vous allez agir n’est-ce pas ? Avec Callidora. »

Charis ne put s'empêcher de se sentir piquée par cette question même si elle n'aurait pourtant su trop dire pourquoi. Peut-être parce qu'il semblait sous entendre qu'elle avait l'intention de rester les bras croisés sans envisager d'intervenir. Peut-être parce qu'en incluant Callidora à son discours, il laissait entendre qu'elle ne serait capable de rien sans sa soeur.

Et dans les interprétations qu'elle se faisait de la vérité, il y avait bien sûr cette frontière ténue que Charis n'avait pas envie d'assumer pour vraie mais qui l'était malgré tout.

"Bien sûr", répliqua-t-elle aussitôt avec toute l'assurance possible pour bien lui faire comprendre que l'inverse n'était pas envisageable. "Notre réputation est en jeu." Elle marqua une légère pause. "Et j'ai toujours défendu notre réputation."

Et elle voudrait que Caspar lui reconnaisse au moins ça.

« C’est vrai. »

Charis n'osa même pas afficher une esquisse de sourire quand Caspar lui reconnut au moins d'avoir toujours veillé à l'intérêt de leur famille, donc à leurs intérêts. Cette remarque n'en valait pas tant, même si de la part de son époux, c'était certainement le plus honnête et agréable compliment qu'elle puisse réellement espérer.

Mais était-ce un compliment ou un constat seulement ? Après tout, faudrait-il être hypocrite pour prétendre qu'elle avait agi un jour autrement qu'au nom des siens et de leur réputation ? Quand ses parents l'avaient promise à Caspar au pied levé après le départ précipité de Cedrella, elle n'avait pas cillé, elle s'était soumise sans prononcer un seul mot. Elle avait accepté... et enduré... Et c'était ce qu'elle faisait depuis toujours.

Et ce à plus forte raison qu'elle avait le sentiment qu'on la considérait même encore aujourd'hui comme le maillon faible de la fratrie Black... Alors que pourtant, ce n'était pas elle qui avait tout plaqué pour se compromettre avec un ennemi de la famille. Enfin, à quoi bon s'en défendre ? Si elle devait même oser s'en vanter, on lui rétorquerait certainement que l'exploit était somme toute naturel et qu'elle n'avait pas la moindre raison de pavoiser... Lassitude.

« Je peux te reconnaître ça. »

Quelle grande générosité de sa part, n'est-ce pas... Il lui accordait au moins une qualité... grand Dieu, elle se coucherait heureuse cette nuit... Non, bien sûr que non, ce genre de réflexion lui donnaient le sentiment d'être une fois encore rabaissée. Même quand il la complimentait à sa manière, Charis avait le sentiment d'être rabaissée.

Parce qu'elle ne serait jamais assez bien pour lui, parce qu'il l'avait relégué d'office à la seconde place de tout, sans nécessité de fondement. Et elle encaissait, elle encaissait...

"Je te remercie", répondit-elle, soumise et docile, comme toujours.

Quantité de répliques cinglantes et désagréables voulaient se libérer du seuil de ses lèvres, mais elle les maintenait captives autant qu'elle le pouvait. Il était inutile de se plaindre ou de reprocher... Cela ne ferait sans doute que lui confirmer qu'elle n'était pas à la hauteur... à sa hauteur de lui ou à celle de Cedrella ?

"Bien évidemment, ton intervention saura être apprécié, si tu le souhaites."

« J’y compte bien. »

Charis esquissa l'ombre d'un sourire. Elle se sentait partagée, elle trouvait normal et de bon ton que son interlocuteur s'intéresse aux affaires familiales, et intervienne bel et bien. Et en même temps, elle ne pouvait pas s'empêcher de se demander s'il ferait preuve d'autant de zèle s'il n'était pas quelque part personnellement impliqué dans l'affaire, parce que c'était lui qui aurait dû épouser Cedrella et que les noces qu'ils cherchaient à empêcher étaient celles qui l'avaient contraint de devenir son mari à elle.

Elle ne devrait pas se poser tant de questions, il y avait de quoi se rendre fou, et cela inutilement, en plus... Charis savait que Caspar n'avait pas aimé Cedrella, elle-même n'aimait pas vraiment Caspar, et réciproquement, d'ailleurs, puisque toute cette histoire devait être vue d'un point de vue pragmatique, il n'y avait sans doute pas de quoi la prendre personnellement. Mais c'était comme ça, elle ne pouvait nier le fait qu'une part d'elle aurait sans doute aimé que Caspar et elle puissent vivre ce que Septimus et Cedrella vivaient. Ils se montreraient sans doute moins vindicatifs si c'était le cas.

« J’irais parler à Callidora dès que j’en aurais l’occasion. »

Cette affirmation-là lui déplut encore plus que la précédente pour tout ce qu'elle sous-entendait, donc que Caspar préférait avoir affaire à sa soeur aînée qu'à elle pour traiter de cette affaire.

D'accord, il est vrai que Callidora, en tant qu'aînée de la fratrie (mais pas seulement), c'était elle qui était décisionnaire. C'est vrai que des trois soeurs elle avait toujours été la tête pensante et l'exemple à suivre. Mais déjà que Charis souffrait d'un complexe vis-à-vis de Cedrella alors qu'elle avait fait tous les choix les plus lamentables qu'elle-même n'aurait jamais fait, voilà qu'elle complexait aussi par rapport à Callidora... Et ça ne risquait pas de s'arranger dans les temps à venir.

Elle aurait voulu commenter, mais elle n'en fit rien, à quoi bon. Elle allait prendre sur elle et cacher ses émotions, comme toujours.

"Très bien", répondit-elle avec le plus de neutralité possible dans la voix. Elle ne voulait pas, en plus, se montrer trop... affectée. "Ne donnons pas à Cedrella plus d'importance qu'elle n'en a vraiment. Le dîner est-il à ta convenance ?"

Tout pour changer de sujet.